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Pierre Rolle

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Pierre Rolle, né le 25 octobre 1931 à Drancy (aujourd'hui en Seine Saint Denis) est un sociologue français, directeur de Recherche au CNRS à la retraite. Ses travaux portent sur l'épistémologie des sciences sociales, de la sociologie du travail et du salariat.

Biographie[modifier]

Pierre Rolle est issu d'une famille ouvrière. Son père est ouvrier ajusteur. Sa mère, manouvrière, le pousse à poursuivre des études dans l'espoir qu'il devienne instituteur. Malgré une scolarité perturbée par la seconde guerre mondiale et un passage par le cours complémentaire professionnel de La Courneuve, il est admis dans un collège parisien puis au lycée Jacques-Decour où il prépare le baccalauréat (1951). Après un bref passage par l'Ecole Normale d'instituteurs, il s'inscrit à La Sorbonne (1952) et y obtient un DES de philosophie et une licence de psychologie. Avant le terme de ses études il collabore à des expériences universitaires en psychologie sociale et s'emploie à des recherches commerciales et politiques pour le compte de plusieurs bureaux d'études privés. L'un de ses terrains d'enquête, une verrerie industrielle, donnera lieu à une première publication dans « les cahiers d'étude des sociétés industrielles et de l'automation »[1], formant la base de ses tout premiers travaux en sociologie. Sa rencontre avec Pierre Naville (1957) est décisive. Elle oriente sa vie professionnelle vers la recherche en sociologie du travail. Il entre à ses côtés au Centre d'Etudes Sociologiques, où il est associé aux travaux sur l'automation. Recruté au CNRS (1959), il participe à la rédaction du Traité de sociologie du travail, codirigé par Georges Friedmann et Pierre Naville. En 1964 est créée la revue Epistémologie sociologique, dont il est un des animateurs, puis le rédacteur en chef jusqu'à sa disparition (1973). A cette date il rejoint le Groupe de Sociologie Rurale de Nanterre, dirigé par Henri Mendras, où il accomplit la seconde partie de sa carrière de chercheur. Il est membre du comité de rédaction de l'Homme et la société, depuis presque les débuts de cette revue.

Engagements politiques[modifier]

Dans le contexte de la Guerre d'Algérie, il participe en 1956 à la constitution de groupes politiques locaux, qui se rapprochent un temps du mouvement Socialisme ou Barbarie - lequel compte parmi ses membres Cornelius Castoriadis, Jean-François Lyotard et Claude Lefort - ainsi que de l'Union de la Gauche Socialiste (UGS). Mais il n'accompagne pas ce dernier groupe dans sa participation à la fondation en 1960 du Parti Socialiste Unifié (PSU) : "En dépit des hypothèses de départ de Socialisme ou Barbarie, empruntées d'ailleurs à la sociologie du travail classique, l'entreprise capitaliste n'es pas l'enveloppe capitaliste d'une unité naturelle, mais un élément sans guère d'autonomie dans un ensemble aux multiples liens"[2]. Il se tient ensuite à distance d'engagements partisans, mais participe à divers mouvements, en particulier en soutien au peuple palestinien.

Perspective théorique[modifier]

Pierre Rolle partage avec Pierre Naville le souci d'accompagner les recherches en sciences humaines d'une réflexion sur leurs méthodes et leur objet. La sociologie ne peut prétendre devenir une science en accumulant des observations effectuées dans des temporalités arbitraires et formalisées dans des langages quelconques : elle doit aussi devenir expérimentale, et s'obliger à définir à chacun de ses pas son projet en même temps que celui des autres disciplines - l'économie, la psychologie, l'histoire - qui traitent des mêmes données. L'interdisciplinarité n'est pas une méthode, mais le point de départ de toute épistémologie. Pour Pierre Rolle, le tentative qui est celle de Karl Marx, visant à saisir le mouvement d'ensemble des regroupements humains et d'interpréter leur dynamisme sert nécessairement de modèle, mais il s'agit plutôt de reprendre sa démarche plutôt que d'adopter forcément ses conclusions.

Selon Pierre Rolle, les progrès des connaissances en sciences sociales nécessitent avant tout le débat - entre chercheurs et dans la société - et non l'application d'un archétype scientifique réputé immuable. La recherche ne progresse que par la comparaison critique, la controverse et la confrontation. Il faut multiplier les angles d'attaque, accumuler les observations soigneusement répertoriées, identifier les agents en cause, et ne pas oublier de localiser le chercheur lui-même dans le dispositif social qu'il étudie. On devra alors élaborer collectivement es hypothèses et la formalisation qui rassemblera les données et relancera l'enquête. Pierre Rolle met également l'accent sur la nécessité de prendre en compte les temporalités hétérogènes, sur la dynamique du mouvement des formations sociales et sur la dimension relationnelle des phénomènes. Il faut "penser la sociologie comme l'analyse des différents mouvements qui, chacun à leur rythme propre, recomposent en permanence les figures du social, comme une science des relations où les individus et les groupes se redéfinissent les uns par les autres"[3].

Travaux[modifier]

Changements techniques, automation et travail humain[modifier]

Les premiers travaux de Pierre Rolle se situent aux côtés et dans le sillage de ceux de Pierre Naville. En témoigne le chapitre "L'évolution technique et ses incidences sur la vie sociale" qu'ils cosignent dans le "Traité de sociologie du travail". L'approche est une critique du paradigme techniciste : "L'évolution technique est insérée dans une structure sociale, où ses effets propres, si on veut les isoler totalement, demeurent abstraits et généraux"[4]. Le devenir social n'est donc pas la conséquence du progrès technique, mais n'en est pas non plus indépendant. Ces deux évolutions, complexes, se conditionnent réciproquement. Ni la division du travail, ni la subordination du salarié n'ont été imposées par l'invention des machines-outils, comme l'ont cru certains sociologues, mais par un régime économique qui s'est consolidé en diminuant le temps d'emploi relatif à chaque fabrication, et en adoptant les procédés mécaniques qui concouraient à ce but. Les installations automatisées, qui aujourd'hui synthétisent selon des plans préétablis de multiples opérations réflexes prolongent le mouvement séculaire qui a décomposé les processus productifs en segments de plus en plus limités et répétitifs : et ceci dans tous les domaines, jusque dans l'agriculture, où l'on observe que la naissance, l'élevage, l'engraissement, l'abattage et le conditionnement du même animal mobilisent autant d'ateliers différents, qui sont mandatés par une entreprise dominatrice.

Les nouvelles technologies renforcent certes l'ordonnance hiérarchique de l'économie et de la finance mondiales, et multiplient les dispositifs hautement productifs plus ou moins connectés entre eux, tous alimentés par les réseaux électriques et innervés par les circuits informatiques, ces deux premiers et gigantesques automates. Mais ces installations sont entretenues et réglées par des équipes de travailleurs libérés de l'affectation à un poste prédéterminé, et donc du chronomètre et des codifications traditionnelles. Par ailleurs les normes, les rythmes, et même les lexiques de cet immense appareillage social s'imposent de plus en plus dans la vie quotidienne, où la consommation exige les mêmes savoirs et les mêmes instruments de production, et tend à s'y absorber. Par delà ses effets immédiats et locaux, l'automation brouille quelques-unes des articulations constitutives de notre ordre social, et ouvre les perspectives d'une nouvelle évolution.

Epistémologie de la sociologie du travail[modifier]

L'histoire, l'objet et les méthodes de la sociologie du travail sont au cœur du premier ouvrage de Pierre Rolle, "Introduction à la sociologie du travail" [5]. Selon, lui, sauf à devenir une doctrine de l'organisation industrielle, telle qu'elle est vue par certains auteurs se réclamant du paradigme illustré par Georges Friedmann, la sociologie du travail ne peut se limiter à l'étude des rôles accomplis à un certain moment par les personnes observées dans un atelier, un bureau ou un laboratoire : il importe, pour en saisir le mouvement, de comprendre comment ces institutions se sont formées, quels sont les calculs économiques qu'elles concrétisent, et de préciser les trajectoires qu'ont du suivre les travailleurs qui sont venus y gagner leur vie, c'est-à-dire de restituer le dynamisme du rapport salarial.Rendant compte de cet ouvrage, le sociologue Guy Caire reconnait que "La thèse est séduisante : le travail ne saurait avoir une réalité indépendante des rapports de production dans lequel il se situe ; par là même se trouve remise en cause la sociologie industrielle telle qu'elle est traditionnellement entendue tout autant que le découpage de la réalité sociale en domaines isolés. Même s'il n'emporte pas toujours la conviction, soit en raison de la concision de certaines analyses, soit en raison du syncrétisme du mode d'approche retenu, le radicalisme de Pierre Rolle ouvre la voie à des interprétations fécondes" [6]

Dans cette perspective, la sociologie du travail se doit d'être attentive au rôle des pouvoirs publics dans la construction du rapport salarial. Cette ligne de réflexion est développée dans les ouvrages qui suivent, notamment dans le "Bilan de la sociologie du travail, tome 1" (1988) et dans "Où va le salariat ?" (1997). Les conventions privées qui lient le salarié à son employeur sont en réalité préformées par les administrations nationales. L’État moderne fixe, ou confirme, les bases de notre régime économique, il impose le principe essentiel selon lequel le propriétaire peut, sans en perdre l'usage, accroître la valeur de son bien propre en mobilisant l'activité d'autres personnes, ce qu'on appelle le droit d'accession. Il définit le modèle d'entreprise et garantit son autorité, il fournit, par sa monnaie, l'instrument nécessaire aux échanges de valeur. Il oriente, par ses commandes comme par ses investissements propres, l'industrialisation de son pays. Parallèlement il dessine, plus ou moins affirmées selon les cas, les grands traits d'un quasi statut du travailleur, ce qui permet au pouvoir politique de régenter quelque peu la masse et la qualité de la main-d’œuvre nationale. Par les aides directes à la famille, la fondation d'organismes d'enseignement, la hiérarchie des apprentissages, les pratiques d'orientation professionnelle, les bourses d'étude, les secours aux chômeurs, toutes mesures qui peuvent être interprétées comme des salaires anticipés, chaque gouvernement moderne impose une typologie des vies de travail accessibles à ses citoyens. Se substituant aux anciennes mutualités ouvrières, les administrations publiques redistribuent la masse des rémunérations et décident de certaines consommations des personnes, les soins hospitaliers, les loisirs, les retraites qu'elles financent. Dans ce régime fondé sur la socialisation du salaire, chaque citoyen est initialement considéré comme un travailleur en puissance, et bénéficie, même sans emploi, ou dans un emploi précaire, de certaines protections, jusqu'à ce qu'il soit obligé d'officialiser son statut, et de devenir effectivement salarié dans une entreprise, ou chômeur, ou bien encore employeur de lui-même s'il est indépendant, d'autres s'il devient investisseur. Dans toutes les nations modernes les différentes catégories sociales se reproduisent presque identiques de génération en génération, celle des salariés s'accroissant pourtant aux dépens des autres. La contribution de Pierre Rolle a l'épistémologie de la sociologie du travail a pu être rapprochée de celle de Mateo Alaluf, chercheur belge également inscrit dans la filiation navillienne : pour les auteurs de "temps, travail et salariat", ces deux sociologues permettent "de se libérer de cette opposition stérile entre l'enchantement gestionnaire et la compassion misérabiliste qui a par trop marqué les débats contemporains sur le travail."[7] Ainsi développée, la sociologie du travail devient une composante essentielle de toute science qui s'intéresse aux collectifs humains. Pierre Rolle, après quelques enquêtes dans l'Union Soviétique finissante, a tenté d'appliquer sa méthode au fonctionnement et à histoire du régime communiste, jusqu'à proposer de cette expérience historique, dans "Le Travail dans les révolutions russes", une analyse et même une chronologie différentes de ce qui en est communément admis[8].

Le devenir du salariat[modifier]

Pour Pierre Rolle, l'observation des rapports salariaux qui les structurent éclaire l'histoire récente de nos nations et révèle les problèmes que celles-ci doivent désormais affronter. Les systèmes étatiques d'emploi et les formes de travail sur lesquelles ils se fondent sont partout en crise. Les dispositifs de production centraux, de plus en plus rigoureusement ordonnées et efficaces, ne peuvent plus se proportionner aux aléas de la vente, de sorte que les rémunérations des employés ne dépendent plus de la productivité en valeur de leur poste, mais deviennent une composante économique permanente de l'entreprise. Les grilles de qualification particulières, qui reconnaissaient les compétences personnelles des employés tout en les soumettant à l'ordre hiérarchique, perdent progressivement de leur importance : des connaissances et des techniques plus générales, et des capacités d'adaptation et de collaboration acquises lors de scolarités prolongées, s'imposent dans les systèmes automatisés plus encore qu'ailleurs, et jusque dans certaines domaines de la consommation. Les tentatives d'organiser la main-d’œuvre nationale et de soutenir l'emploi sont de plus en plus inopérants : certains professionnels s'associent désormais ou se concurrencent par delà les frontières, alors que d'autres sont confinés dans leur canton. Le chômage dans un pays varie avec des évènements internationaux. L’État est tout à la fois requis par les citoyens de les protéger des mouvements extérieurs et de les introduire dans les marchés mondiaux, et se montre à leurs yeux dans chacune de ses initiatives ou trop laxiste, ou trop dominateur.

Ces dernières réflexions amènent Pierre Rolle à interroger la manière dont les nations contemporaines sont susceptibles de sortir de ces contradictions. Selon lui, si beaucoup d'auteurs ont longtemps espéré que le salaire social se consoliderait et s'élargirait, jusqu'à régir l'ensemble de la vie de travail, devenue une fonction administrative, il lui parait que l'analyse sociologique montre l'inactualité d'un tel projet. En effet elle ne s'autorise à rien dire de plus, sinon que les problèmes qu'elle décèle requièrent sans doute plus que des changements de politiques des pouvoirs en place, mais bien plutôt une transformation profonde des relations et des structures des collectifs humains qui n'épargneraient pas ces pouvoirs eux-mêmes.

Ouvrages[modifier]

  • Introduction à la sociologie du travail, Larousse, 1971.
  • Bilan de la sociologie du travail, Tome 1, Travail et salariat, Presses Universitaires de Grenoble, 1988.
  • I Paradossi del lavoro, Dedalo, Bari, 1963
  • Où va le salariat ? Edition Page Deux, 1997
  • Le Travail dans les révolutions russes. De l'URSS à la Russie, Editions Page Deux, 1998.

Notes et références[modifier]

  1. Pierre Rolle, « Attitudes ouvrières et situation de travail  », Cahiers de l'automation et des sociétés industrielles,‎ , p. 99-163
  2. Pierre Rolle, « Socialisme ou Barbarie  », NON,‎
  3. Pierre Rolle, « Le salariat : mort ou vif ?  », La Nouvelle Revue du Travail,‎ (lire en ligne)
  4. Pierre Rolle et Pierre Naville, « L'évolution technique et ses incidences sur la vie sociale  », Traité de sociologie du travail,‎ , p. 349
  5. Pierre Rolle, « Introduction à la sociologie du travail  », Larousse,‎
  6. Guy Caire, « Rolle(Pierre) -Introduction à la sociologie du travail. », (consulté le 13 juillet 2021)
  7. Pierre Desmarez, Caroline Lanciano-Morandat, Sylvie Monchatre, Marcelle Stoobants et François Vatin,, Temps, travail et salariat. Mateo Alaluf et Pierre Rolle. Actualité de leur pensée., Toulouse, Octares, , 193 p. (ISBN 978-2-915346-95-4), page 8
  8. Pierre Rolle, « Le Travail dans les révolutions russes. De l'URSS à la Russie  », Editions Page Deux,‎

Liens externes[modifier]

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