You can edit almost every page by Creating an account. Otherwise, see the FAQ.

Notes, 1

De EverybodyWiki Bios & Wiki
Aller à :navigation, rechercher

🖊️Modifier cette InfoBox
Notes, 1 ✒️📰
Thème




Les idées n'émanent pas des choses. Elles descendent sur les choses et leur donnent leur forme.

Nos pensées. Mais en quoi sont-elles nôtres ? On ne sait si on les génère ou si elles nous traversent. Celles du soir qui nous reviennent, celles des nuits qui disparaissent ou qui déçoivent au matin.

"Rester à l'affût de son esprit, la plume haute, prêt à piquer la moindre idée qui peut en sortir" (Jules Renard, Journal, 1887). Ça dit assez exactement le rapport qu'on peut avoir avec les idées qui sont choses qui nous adviennent beaucoup plus qu'on ne les produit. Et voilà notre rôle actif : être à l’affût, la plume prête. Peut-être même la plume a-t-elle encore plus de pouvoir : elle provoque les idées : "la pensée avance sans préparations ni retouches, à tous risques, comme étonnée de se découvrir elle-même, de s'inventer elle-même, comme surgie de l'écriture" Conte-Sponville parlant des Propos d'Alain. C'est un leitmotiv que ce pouvoir de la plume ou du crayon qu'il n'y a qu'à suivre  : "mon crayon qui était sans vie, s'est mis à bouger graduellement et, profitant de ces mouvements, j'ai réussi, au bout de vingt ou trente minutes, à composer ces six vers..." (Sôseki, Oreillers d'herbe, p.83). Et, de la plume aux mots, même idée : "je trace des mots (...) qui tirent après eux d'autres mots, des mots qui vont chercher des choses en moi, je ne savais pas qu'elles y étaient. " (Hivernaux, La peau et les os, p.54). Ou, encore, Rimbaud : "j'assiste en écrivant à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène" (par parenthèse, il rend compte de ce phénomène par la bien fameuse formule : "Je est un autre"...).

Hypothèse : penser sans écrire oblige la mémoire à s'alourdir et alors freiner la pensée. Quand on se met à écrire on sent bien qu'on a enlevé le frein. D'où le sentiment que la plume court toute seule.

Autre hypothèse : ce phénomène psychologique, le "se surprendre soi-même" que Winnicot analyse dans le jeu des enfants (Le "playing" qu'il distingue du "game") où les enfants inventent au fur et à mesure qu'ils jouent. C'est un exemple d'autocréation : par mon action je me découvre ; il y a une sorte d'emballement autonome dont je suis la source et qui, pourtant, me surprend moi-même, (citations de Comte-Sponville et d'Hivernaux plus haut).

Hypothèse plus générale, il s'agirait du fonctionnement même de l'imagination ou de le créativité ou encore du sens de l'oeuvre d'art. Il y a création quand l'imagination, sans règles (c'est une manière de dire qu'elle est un délire), se confronte à la matière (La marbre, les mots, les sons...). La confrontation des idées et des rêveries à la résistance des choses, des matières, donne autre chose que ce que l'artiste projetait et peut-être ouvre au-delà de ce qu'il voulait. C'est pourquoi il se surprend lui-même. "C'est la résistance des choses qui, jointe à l'émotion, engendre l'oeuvre" (Marois évoquant Alain). Alain dit encore, à peu près, que les oeuvres d'art s'expliquent par ce fait que l'exécution ne cesse de surpasser la conception. Il y a oeuvre d'art quandil y a plus dans l'exécution que dans la conception ; lorsqu'il y a identité entre les deux, on est dans la technique : dans la technique, la production respecte scrupuleusement le concept. Bref, ce que veut l'artiste est aussi indéterminé que le délire de l'imagination. L'oeuvre est alors détermination, dans tous les sens du terme, incarnation. Elle révèle, réalise ces choses dont parle Hivernaux dont il ne savait pas qu'elles étaient en lui et là "le génie s'étonne lui-même". [ par parenthèse, Alain, pour exemplifier le fonctionnement de l'imagination demandait à ses élèves qui passaient tous les jours devant le Panthéon, de se rapporter à l'image qu'ils en avaient en mémoire et de compter les colonnes, ce qu'ils ne réussissaient pas à faire. L'image n'est pas une photographie qu'on pourrait aller chercher et observer ; l'imagination n'est habitée que de fantômes et faire une oeuvre, c'est la ramener aux choses, c'est réaliser.]

"Je vis dans l'attente de l'idée, dit Cioran ; je la pressens, la cerne, m'en saisis, elle ne m'appartient pas encore : l'aurais-je conçue dans mon absence ? Et comment, d'imminente et confuse, la rendre présente et lumineuse dans l'agonie intelligible de l'expression ? Quel état dois-je espérer pour qu'elle éclose - et dépérisse ?" (Précis de décomposition, Le penseur d'occasion). Ce que je crois comprendre c'est que l'idée n'est véritablement vivante que dans le temps où quelque chose en elle nous échappe encore , dans le temps où on tente de la saisir, que sa vérité est dans ce qu'on en "pressent" et qu'elle s'éteint ("l'agonie") quand on la fixe dans l'expression "intelligible". L'idée ne vaut que d'être encore insaisissable, indépendante : "la somme de clair-obscur qu'une idée recèle est le seul indice de sa profondeur" car "celui qui pense quand il veut n'a rien à nous dire" (idem).

Penser. Ce n'est donc pas l'acte de penser qui est à l'origine des idées. Penser c'est l'acte par lequel, quand nous advient une idée (et peu en importe l'origine : du désir, de l'intérêt, d'influences extérieures, d'inspirations aux origines obscures, des "autres" ...) on l'examine du point de vue de la vérité. Par l'activité critique, par le dialogue contradictoire avec l'autre ou avec soi-même. " Penser, c'est peser ce qui vient à l'esprit" (Alain, Définitions).

Penser, c'est clarifier, ordonner, classer, arranger, réarranger, dépoussiérer, recréer. Le philosophe est une femme de méninge.

On peut définir La méditation -par analogie avec l'apprentissage des gestes du corps (incorporation)- une "assimilation" (au sens biologique du terme : la transformation des aliments venus de l'extérieur en mes propres constituants) volontaire de la nouvelle idée, de la nouvelle information, de la nouvelle donnée, etc. au système déjà là de mes connaissances. C'est le "penser" d'Alain : "passer d'une idée à tout ce qui s'y oppose, de façon à accorder toutes les pensées à l'actuelle pensée" ( Définitions). En complétant par le fait que l'assimilation dont il s'agit modifie le systéme de connaissances déjà là, ne laisse pas telles quelles les connaissances déjà installées (l'accommodation dans le vocabulaire de Piaget). Alain dit encore : "penser c'est donc juger que tout n'est pas bien en nous comme il se présente : c'est un long travail et une paix préalable" (Définitions). Paix entre moi et les informations extérieures, perturbantes, et mettant en danger mon intégrité psychique, que je me refuse, quand je décide de penser, à démolir immédiatement avec un pseudo esprit critique qui n'est que réaction aux perturbations extérieures. La méditation n'est pas la contemplation, voir l'article "contemplation".



Par le religieux, l'humanité se manifeste à elle-même. L'erreur est dans la création des dieux.

Superficialité dit superficiel (surface) mais aussi superficie. On peut préférer les grands espaces aux grandes profondeurs. Chute ou dispersion (diaspora) versus ascension et conquête de l'espace.


Où est l'orgueil ? De se considérer dans un monde sans Dieu et par là condamné à n'être que l'oeuvre de soi-même ou de se considérer sous le regard d'un Dieu, créateur de l'univers, qui aurait souci de nous ? Dans le constat de notre déréliction ou dans la croyance de notre élection ?

Un pharisien, dit à peu près Alain, est un homme qui croit en Dieu et qui croit que Dieu est content de lui.

Humilité de l'athéisme qui m'interdit de me considérer comme créé par un dieu.


Si on doit postuler l'existence de Dieu pour Cioran c'est parce qu'il faut bien un auteur à ce désastre qu'est le monde. Le hasard seul en serait incapable.

La violence est des origines. Il fut même un temps où un quart de la population fut, d'un coup, exterminée. A propos du péché de Caïn et de la mort d'Abel : "voilà un beau début, ils n'étaient que trois ou quatre (1) au monde, et il y en a un qui a tué son frère. Que pouvait espérer Dieu des hommes après cela pour se donner tant de peine à les conserver ? N'eut-il pas mieux fait d'en éteindre dès l'heure l'engeance à jamais ?" (Malherbe, mais on dirait du Cioran).

Le premier meurtre est fratricide. Quoi d'étonnant ? Renan parlant de Malherbe : "il avait un frère aîné avec lequel il a toujours été en procès, et comme un de ses amis se plaignait de cette mauvaise intelligence, et que c'était un malheur assez ordinaire d'avoir un procès avec ses proches, M. de Malherbe lui dit qu'il ne pouvait pas en avoir avec les Turcs et les Moscovites avec qui il n'avait rien à partager".

(1) Dont deux pêcheurs originels, un assassin et un cadavre.

Optimisme et pessimisme -1- Le pessimisme dans lequel est tenu ce monde me rend optimiste car il n'y aurait rien de plus inquiétant que d'être, à l'égard de ce monde, plein d'optimisme.

Optimisme et pessimisme -2- On fait de Leibniz, soutenant que ce monde "est le meilleur des mondes possibles", le type même du philosophe optimiste. Or voici comment Rosset définit, au contraire (ou semblablement ?), le philosophe pessimiste : c'est celui qui "pourra déclarer le monde sombre in aeterno, non suceptible de modification ou d'amélioration" (Logique du pire, p. 16). C'est dire que Leibniz, parce que son monde étant le meilleur "possible" donc incapable de quelqu'amélioration que ce soit, répond parfaitement à la définition que donne Rosset du philosophe pessimiste. Le meilleur des mondes possibles est un monde sans espoir. Optimisme désespérant de Leibniz. Si ce monde-ci est le meilleur des mondes possibles, aucun autre monde possible, donc pensable, ne peut être meilleur : toute utopie est fondamentalement illusoire, tout monde meilleur est nécessairement impossible. "Optimisme tragique" de Leibniz dans le vocabulaire de Rosset. Aucun monde meilleur ne peut être possible et aucun monde possible ne peut être meilleur.




Les faits sont têtus, c'est dire qu'ils conservent leurs prétentions même quand ils ont tort.


Certainement, certains ne changent jamais de monde et n'en savent ni la possibilité ni la nécessité. Et ils entrent dans le vôtre sans imaginer qu'il puisse être autre que le leur et bien lointain.


Il y a beaucoup plus à conserver qu'à espérer.


Il n'y a de sagesse que s'il y a une joie intrinsèque à la lucidité. La sagesse c'est savoir vivre aprés s'être défait des illusions qui permettent de vivre. Le philosophe est celui qui fait vœu de lucidité.

La bonne conscience d'avoir, au moins, à manifester sa mauvaise conscience.


Il est tout de même plus utile d'éclairer que d'éblouir et ce qui brille, souvent, n'éclaire que soi-même.

Réfléchis, prends ton temps, n'aie pas peur du silence.


Plaisir, joie, bonheur.

Plaisir du mélomane, joie du musicien, bonheur du compositeur.

Mes plaisirs dépendent du monde. Le monde dépend de ma joie.

Le plaisir est une suite d'instants : il commence, augmente, atteint une limite, nécessaire (au-delà, il se transforme en dégoût, en écœurement, le cœur n'y est plus, fait défaut ; ou même en douleur, parfois : les châtiments correspondant aux péchés capitaux consistent à outrer les plaisirs jusqu'à la souffrance  : on gave, par exemple, les gloutons jusqu'à ce qu'ils éclatent, les avares sont plongés dans des cuves d'or et d'argent en fusion...) et retombe jusqu'au fond du manque.

La joie, si elle est, se donne toujours avec des traits opposés. Certainement pas éternelle (c'est en droit le fait du bonheur) mais pérenne, étale, égale. C'est du temps. Non du temps qui passe sans nous mais du temps suspendu qui a perdu ses risques de corruption. Peut-être la temporalité de la joie est de "demeurer" : "je ne dis pas que c'est la joie quand on rit ou quand on chante, ou même quand le plaisir qu'on a vous dépasse le corps... La joie n'est rien et ne vaut pas la peine si elle ne demeure pas" (Giono, Que ma joie demeure, le livre de poche, p.416). On peut essayer cet oxymore : une éternité temporelle. Un salut à taille humaine.


On peut encore essayer ces rapports au temps (à l'attente):

Le plaisir n'attend pas, on y est dans le temps même, sans laps, à plein ; tout, tout de suite. Durée sans fissure. Attendre un plaisir n'est pas un plaisir, mais, quand l'attente est sans crainte, déjà une joie.

La joie : quand on perçoit que l'attente va être comblée (la tristesse quand on ne perçoit pas le terme de l'attente, quand il est reconduit sine die ou quand on n'y croit plus).

Le bonheur c'est n'attendre rien, le contentement qui n'a plus besoin d'attendre quoi que ce soit, comblé (l'espérance n'est pas le bonheur mais son attente quand on persiste à le croire possible, l'espérance est une petite joie). Le bonheur est désespoir, quand, comblé, on n'a nul besoin d'espoir (aller voir Comte-Sponville).

[L'ennui c'est l'attente, mais de... rien, dans une durée indéfinie. Non pas ne rien attendre mais attendre rien : la différence est ténue entre le bonheur et l'ennui...]

Être "fou" de joie, c'est reconnaître qu'on n'a aucune "raison" d'être joyeux.

La joie est la confiance dans la possibilité pour le réel d'assurer les conditions de mon contentement. Peut être donnée par le réel comme nature (monde indifférent). Ou plutôt, la joie est dans la possibilité que j'ai (travail, volonté) de rendre le réel compatible avec mon contentement car la joie est active, elle est dans l'action. La joie émane de moi, elle ne me vient pas du monde, comme le plaisir. C'est, au contraire, elle qui colore le monde.

La joie suppose de l'activité qui se satisfait de s'effectuer dans l'aisance et l'efficacité. Quand les mots sur la page blanche s'alignent pour dire ce que l'on veut dire comme on veut le dire. Quand notre activité trouve ses conditions de fluide efficacité dans les choses difficiles. Quand, par mon activité se donne le sentiment que le monde est fait pour moi. Tout le contraire des pesanteurs récalcitrantes, des maladresse aux résultats piteux devant la résistance indifférente des choses.

Bonheur, peut-être : coïncidence de l'être et du devoir-être. Se sentir être ce qu'on pense devoir être. Remplir son essence.

Paradoxe du bonheur : si on ne trouve pas le bonheur dans la rencontre de ce qui nous importe le plus (la vérité, l'amour...), c'est peut-être du côté du bonheur qu'il faut chercher la défaillance  : le bonheur vaudrait moins que ce qu'on espérait, le bonheur ne nous rendrait pas heureux ! Ou il ne faudrait pas chercher le bonheur dans l'amour ou la vérité mais y chercher simplement l'amour ou la vérité. Le bonheur serait toujours un surcroit... On peut dire encore : si la rencontre de la vérité ou de l'amour ne nous rendent pas heureux, le bonheur mérite-t-il d'être recherché ?


Le plaisir est dans le sentir, la joie est dans le faire, le bonheur dans l'être.

Le plaisir est dépendant de l'effet des objets sur nous (qui sont indifférents). Donc dépend de l'aléatoire des rencontres heureuses.

La joie dépend de notre effet sur les choses (qui résistent par indifférence). Elle est l'effet de notre activité.

Le bonheur dépend de notre capacité à agir sur nous-mêmes, qui suppose aussi des indifférences et des résistances. Il est dans notre moralité ou plutôt éthicité.

Dans l'ordre ( du plaisir au bonheur en passant par la joie), notre maîtrise, notre responsabilité est de plus en plus grande. Seul le bonheur, affaire de soi à soi, dépend pleinement ou peut dépendre pleinement de nous. C'est parce qu'il dépend de nous qu'il est bonheur : on est et l'objet et le sujet du contentement de soi.

C'est certainement l'essentiel des philosophies du bonheur. Chez les épicuriens et chez les stoïciens : ne se préoccuper que de ce qui dépend de nous, ne s'affliger que de ce qui dépend de nous (le bonheur est dans les plaisirs chez les épicuriens mais à cette condition de pouvoir se les procurer sans dépendance, ce qui ne va pas sans un certain ascétisme). Chez Socrate, au fond de l'idée qu'il n'y a pas de méchants heureux : même s'ils jouissent des plaisirs, s'ils connaissent les joies de la puissance (il y a des joies mauvaises), ils ne peuvent atteindre le bonheur. Chez Descartes : plutôt réduire nos désirs, ce qui dépend de nous, que changer l'ordre du monde, ce qui dépend peu de nous. Chez Kant où se fait la déliaison de la moralité et du bonheur (pour ouvrir la nécessité de la foi), à tout le moins la moralité nous rend digne du bonheur et on ne peut jouir d'un bonheur dont on se sentirait indigne. Enfin toutes les tentatives de lier bonheur et vertu aux dépends même des plaisirs et des joies : le bonheur du martyr dans la souffrance qu'il subit au nom de ses exigences morales, le bonheur de la victoire du thymos contre les désirs quand on se méprise de s'y laisser aller, de la "fierté" platonicienne. "La récompense d'avoir accompli un acte juste est de l'avoir accompli" (Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXXI,19). "Le contentement qu'une conscience bien réglée reçoit en soi de bien faire"(Essais, Pl. 6661)

On peut imaginer le bonheur dans un monde où les objets ne nous sont pas indifférents, c'est la définition du paradis où le bonheur est donné par un monde qui nous est adéquat. Mais là il faut poser un troisième terme qui assure l'harmonie entre le monde et nous. De même si le travail est récompensé là où notre puissance domine les objets, là où les talents autorisent les maîtrises.

Au contraire, le bonheur s'isole dans la moralité quand la Nature devient cette sublime indifférence.


Il y a de la joie à être l'auteur de ses plaisirs par ses actes et du bonheur à les conformer à la vertu (morales antiques). Si la joie est dans le contentement de l'oeuvre accomplie par son propre travail, elle a supposé que des plaisirs soient à tout le moins différés, que des difficultés, des peines, aient été acceptées et surmontées et que, par là, une certaine maîtrise de soi, un certain dépassement du "principe de plaisir" se soit effectué, donc une certaine promotion de soi par soi, une certaine "moralisation" dont on a dit la relation au bonheur.

Le carpe diem, en droit, semble l'éthique aux exigences les plus pauvres : se satisfaire des plaisirs immédiats, comme ils se proposent, sans se préoccuper du lendemain : de la gueule de bois, des remords, du mécontentement, du mépris ou du dégoût de soi... Indigence de l'exigence , donc, mais de réalisation extrêmement difficile car il s'agit de faire abstraction, entre autre, du thymos platonicien, de cette instance qui juge des plaisirs immédiats du ventre et s'y oppose au principe de la fierté, de l'estime de soi, du contentement de soi, voir de l'orgueil. Quelle force alors pour en faire abstraction ? Peut-être l'anesthésie.

Si on peut être triste sans être malheureux, c'est qu'au sein même de la tristesse, on continue à croire au retour de la joie. Le malheur c'est croire que toute joie nous est définitivement interdite, que la tristesse deviendra notre condition permanente. L'enfer est toujours pensé comme le lieu d'une souffrance infinie, sans sortie possible, même par la mort, interdite aux enfers, aux enfers l'éternité nous est offerte ( dans une interview, Cioran dit : "sans l'idée du suicide, il y a longtemps que je me serais tué" : c'est l'idée du suicide qui lui permet de supporter l'existence car il est une porte de sortie possible devant tout événement "invivable": si la mort est possible et relève de mon choix aucun malheur n'est définitif. Mais l'enfer, précisément, c'est l’impossibilité du salut par la mort, c'est la souffrance sans aucune issue possible. C'est pourquoi pour Cioran, la mort n'est pas le pire. Le pire est d'être né car dès qu'on naît l'enfer devient possible.)

La joie : l'attente de plaisirs qu'on sait possibles, pleine joie (que n'accompagne plus sa sœur, la crainte : "Adieu donc, fi du plaisir /Que la crainte peut corrompre." (La Fontaine, Fables, Le rat de ville et le rat des champs)) quand on les sait certains : quand on aperçoit, assoiffés, au désert, un oasis au bas de la dune. Ce n'est pas un plaisir, la soif est toujours là, entière (le plaisir sera donné au moment de boire, s'atténuera en se satisfaisant et s'éteindra, satisfait) , mais c'est l'anticipation de ce plaisir. Joie et tristesse sont des anticipations : il peut exister une tristesse au sein du plaisir quand on se met à penser, violation du "carpe diem", qu'il va bientôt s’éteindre : je répète La Fontaine : "Adieu donc, fi du plaisir Que la crainte peut corrompre". On peut éprouver un plaisir sans joie si on le pense exceptionnel et éphémère.

Le bonheur, alors, peut-être un état (et la conscience de celui-ci) dans lequel rien ne nous fait penser qu'une tristesse peut advenir, (d'où la possibilité des imbéciles heureux, incapables de penser une tristesse possible). Ainsi les philosophies antiques qui cultivent le bonheur par la préparation mentale à pouvoir vivre, subir, tout événement sans en être tristement affecté : "familiarise toi avec l'idée que la mort n'est rien"... Être heureux consiste à atteindre mentalement la garantie de pouvoir être immunisé contre toute tristesse possible, ou, positivement, d'être capable d'accueillir avec joie, tout événement possible (amor fati ?). Cultures de l'ataraxie, du détachement, de l'approbation.

La joie est une disposition d'esprit [une "qualité dispositionnelle" comme la fragilité ?] (au contraire le plaisir est une actualité du corps) qui réussit à être indifférente à l'absence de plaisir. Vertu au sens de disposition permanente. Le bonheur est dans l'assurance de la permanence de cette disposition d'esprit. En quoi, le bonheur se cultive.

Le bonheur a besoin de conscience. Comme la santé, on n'en prend conscience que quand on l'a perdu. Donc cultiver la conscience de sa présence : arrêtons-nous et contemplons le. D'où, par parenthèse, cet étrange paradoxe, dans la version pessimiste de cette idée, chez Cioran, schopenhauerien comme bien souvent : "tous les êtres sont malheureux, mais peu le savent". Inconscience du malheur comme du bonheur (et inconscience qui, contrairement à celle du bonheur, est cultivée)!

La joie et l'absurde chez Rosset et Cioran. La joie est un a priori, c'est-à-dire ce qui précède et détermine l'expérience (C'est parce que je suis joyeux que le monde est beau et non l'inverse). Ce qui permet de comprendre qu'elle est sans raison et coextensive au réel puisqu'elle colore tout le réel), "un don gratuit, une grâce" dit Rosset ou, pour mieux dire, elle y adhère sans distance. Par quoi elle en suppose l'approbation sans réticence, sans chercher d'arrangements. Elle est une conscience, mais non réflexive du réel car "il n'est rien de moins réjouissant que l'existence, à considérer celle-ci en toute froideur et lucidité" (Rosset, La force majeure, p. 22). Conscience immédiate et approbatrice, donc. C'est pourquoi la joie de vivre est absurde. Et peut-être y a-t-il joie parce qu'on ressent que, tout aussi bien, sans aucun changement notable, par simple disgrâce gratuite, le dégoût, la nausée devant le réel seraient tout autant possibles que la joie, équiprobables. Rosset et Cioran : tous les deux devant la même existence ("rien de moins réjouissant") mais dotés d'a prioris opposés. D'où cette "inversion" : pour Cioran, l'horreur d'exister c'est d'être quelque chose et de compter pour rien ; pour Rosset, la joie de vivre c'est de compter pour rien et pourtant d'être quelque chose, être quelque chose au milieu de ce formidable hasard du monde, "voilà qui réjouit absolument" (idem). Ce qui désespère Cioran est exactement ce qui réjouit Rosset. Renversement inexplicable, Rosset lui-même trouverait l'a priori de Cioran plus "logique", en conformité avec les données de la lucidité. C'est donc que "la joie est parfaitement absurde et indéfendable" qui "demeure allègre en connaissance de cause, en complète possession des vérités qui la contrarient" (idem,p.101). Rosset rapproche sa conception de la joie de l'approbation nietzschéenne, source de la joie, et tout aussi dépourvue de raison (idem,p.45). Tellez, commentateur de Rosset, rapproche sa conception de la joie du "credo quia absurdum" de Tertullien : "je crois parce que c'est absurde".

L'absurdité n'est pas un argument contre l'existence.

.


Chez Spinoza, la joie (comme la tristesse) est un passage ( de moindre à plus grande perfection -ou réalité-(1)). Donc elle est du temps, elle n'est pas un état, comme le bonheur ou la béatitude peut et, peut-être, doit, selon sa définition, l'être. La joie est dans le changement, le passage, manifestation dynamique, le temps même. Et passage seulement : "car la joie n'est pas la perfection elle-même. Si, en effet, l'homme naissait avec la perfection à laquelle il parvient, il la posséderait sans sentiment de joie " (Éthique III, Définition des sentiments III). Imaginons Adam vivant dans un bonheur sans joie...

(1) plus de perfection = plus de réalité = plus d'intensité d'existence et de vie. Comme une guérison : la maladie est réduction du pouvoir d'agir, réduction de la vie, réduction de l'être, de la diversité des êtres avec lesquels on peut interagir, réduction de la quantité de réalité à laquelle on peut se confronter... Avec la maladie, on restreint son espace de vie, on se referme sur un espace réduit, on s'enferme dans une bulle stérile. Donc moindre être, moins d'existence ; selon Spinoza, moindre réalité, moindre perfection (pour Spinoza, l'Idée est un non-être, la perfection ne peut être un idéal, elle est la réalité). Le mouvement qui nous sort de la maladie a la structure de la joie.

La joie serait la conscience de se rapprocher de la béatitude.

La tristesse : avant de s'installer dans le malheur, lui aussi, capable de constituer un état.


L'inverse de l'amour, ce n'est pas la haine mais l'indifférence dit, à peu près, Elie Wiesel. Et, peut-être, souvent la haine trouve sa source dans un élan d'amour qui ne rencontre que l'indifférence. Si aimer, en effet, c'est vouloir être aimé (1), la haine c'est vouloir être aimé et rencontrer l'impossibilité de l'être, soit : l'indifférence.

(1) Hobbes définit ainsi la passion amoureuse : "l'amour d'une personne singulière avec le désir d'être l'objet singulier de son amour" (Léviathan, Éditions Sirey, p. 52)



Prôner l'authenticité, c'est croire que la vérité est dans l'immédiateté.

Revendiquer le bon sens, c'est moins se préoccuper de la vérité que s'assurer d'être "couvert".

Laisser entrer en soi un peu de monde : respirer.

La conversion sur le lit de mort a même valeur de vérité que les aveux sous la torture.

La trace, le signe : la présence de ce qui est absent.

Consoler s'adresse à celui qui ne peut accepter l'idée qu'il peut se détacher de ce qu'il a perdu. Ainsi tout essai de consolation qui invoque les bienfaits du temps qui passe est insupportable. "Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus." (Évangile selon Matthieu, II, 18) Parce que toute consolation est une insupportable proposition d'oubli.

Une même absence d'objet dans l'angoisse et dans la joie.


"La Recherche du Temps perdu" est une des quelques lectures que l'on peut faire sans avoir le sentiment d'avoir perdu son temps.

"La Recherche du Temps perdu" écrite à la première personne du singulier donne la parole à un narrateur qui se prénomme Marcel comme l'auteur mais qu'il ne faut pas confondre avec l'auteur selon les dires de l'auteur lui-même, qui a raison de le dire, les faits sont de son côté, et qui raconte comment le narrateur devient l'auteur de la Recherche qui affirme que la littérature est la vérité de la vie, que la vie rapportée par la Recherche est plus vraie que celle effectivement vécue, que le narrateur est plus vrai, donc, que l'auteur.


Trois critiques de la critique :

-L'existence de "mutins de Panurge".

-Le caractère réactif, de fait conservateur, de l'esprit critique centrifuge dont la fonction n'est que de maintenir les représentations existantes et, partant, d'en interdire la véritable critique, centripète, seule authentique acte de savoir. (Voir Essais, Pl.185). "Réaction" du psychisme qui tend à maintenir son intégrité.(1)

-Le refus de l'acte de compréhension dénoncé par Spinoza (Ethique, II, Prop.XI, Sc., Pl.366) d'une impatience de la lecture qui critique, comme dit Alain, au troisième mot. Spinoza demande au lecteur de s'abstenir de juger, critiquer trop vite et d'attendre pour se prononcer d'avoir atteint le terme de la démonstration car la démonstration est régulièrement accompagnée d'un travail de reconsidération des préjugés par quoi elle est possiblement victime de "l'esprit critique" qui les protège.(voir Ethique, I, Prop. XI, scolie, Pl.319; Prop. 15, scolie, Pl.323; Prop XXXIII, scolie 2. Pl. 343). C'est en général la fonction des scolies que de détruire les préjugés qui empêchent de saisir l'évidence des démonstrations et d'abord des postulats et axiomes.

(1)J'appelle "esprit critique centrifuge" celui qui, généralement dégainé immédiatement, se fait en direction des informations extérieures perturbantes et déstabilisantes et a pour fonction d'en protéger le sujet ; "esprit critique centripète", au contraire, celui qui a pour objet le questionnement de nos représentations et leur épreuve en regard des informations qui les perturbent.


Victor Hugo, un visionnaire mais pas un voyant. C'est en 1867 qu'il dit dans un texte que, maintenant que le train relie Paris à Berlin, une guerre entre la France et l'Allemagne est impossible...


Il faut un certain arrangement de similitude et de différence pour s'aimer comme pour se haïr. "Les choses qui n'ont rien en commun ne se battent pas entre elles" (Saint Thomas).