La foi.
La foi crée son objet.
Les conditions de la foi, c’est-à-dire de la confiance inconditionnelle, sont la puissance et la bonté, l’infinie bonté et la toute puissance de ce à quoi je me confie. Dieu est alors, par essence et même par définition, l’objet de la foi. La foi fait exister Dieu par le besoin d’inconditionnelle confiance. Elle doit s’exprimer alors par une tout aussi inconditionnelle obéissance.
Le mérite de la foi.
Foi : fidélité ( exactitude à remplir ses engagements, constance dans ses affections), confiance, créance, croyance, véracité (bonne foi), se fier, assurance, serment.
C’est d’abord un acte de volonté, celui de maintenir exactement ses engagements. (Alain définit la foi, versus la croyance, par la volonté : la foi est une croyance volontaire.)
La confiance (la foi) se donne alors à celui capable de foi (fidélité). La foi ne peut avoir de fondement que dans la croyance en la foi d’autrui, de sa fidélité et de la véracité de sa parole. On retrouvera plus bas cette logique de "l'autoréférence". Se fier c’est « commettre à la foi de quelqu’un », donner sa confiance, « s’assurer » sur quelqu’un. Avoir foi en la foi d’autrui (avoir confiance en sa fidélité).
La foi est confiance absolue. La foi d'Abraham n'est pas seulement l'acceptation de l’incompréhensible mais du gratuit, de l'arbitraire. C'est l'exemple de la pure hétéronomie, c'est l'abdication de l'éthique pour une morale (voir la première distinction qui est faite entre ces deux termes dans l'article Morale et éthique) de la pure obéissance. Abraham restaure l'état adamique : la faute d'Adam c'est de connaître la distinction du Bien et du Mal et donc de pouvoir juger par soi-même du Bien et du Mal, de façon autonome. Or Abraham, en obéissant inconditionnellement à Dieu ordonnant de sacrifier l'enfant, l'innocent (c'est-à-dire le mal par excellence) se pose comme celui qui ne possède pas le pouvoir de décider du Bien ou du Mal, comme celui même qui décide de ne pas connaître la différence entre le Bien et le Mal, comme celui qui, là-dessus, accepte de s'en remettre à Dieu, quelque incompréhensible qu'il soit, quelque injuste qu'il apparaisse. Le Bien c'est pour Abraham l'obéissance sans conditions (voir l'article le mal, le savoir et l'obéissance). "Croire c'est se confier pleinement, c'est accepter la volonté de Dieu et y acquiescer ; c'est la plénitude de l'obéissance " (Luther, Livre de la liberté chrétienne). "La première loi que Dieu donna jamais à l'homme, ce fut une loi de pure obéissance ; ce fut un commandement nud et simple oû l'homme n'eut rien à connaître et à causer" (Montaigne, Apologie de Raymond Sebon) : la foi adamique : obéissance inconditionnelle et sans discussion ni interrogation car en deçà de la connaissance du bien et du mal, ancrée dans l'ignorance (l'innocence). Alors la désobéissance est le mal premier car elle est manque de foi, de confiance, par définition. Le mal initial qui est, objectivement, pure désobéissance, c'est-à-dire non respect d'un interdit dont Adam ne peut comprendre le sens car c'est en le transgressant qu'il y accède, est subjectivement (attitude de l'âme) manque de foi. Le mal initial est donc bien éloignement de Dieu. Son châtiment n'est alors rien d'autre que son contenu, le châtiment est l'acte lui-même. Noter aussi que la bonté initiale d'Adam est faite d'obéissance et d'ignorance.
« Il est essentiel à la foi de ne pas voir et de croire ce qu’on ne voit pas ». Le mérite de la foi (la foi est une des vertus théologales) est de croire sans savoir, sans le secours de la science et de la raison : « on dit que Fra Paolo ne voulut pas jeter les yeux sur le livre d’un de ses amis qui démontrait la vérité des dogmes pour ne pas perdre le mérite de la foi » (Voltaire, Lettres). La foi devient une vertu, devient méritante, quand elle s'épure jusqu'à l'indifférence à l'égard non seulement de la raison et du savoir mais de l'expérience elle-même, jusqu'à s'affirmer malgré et même du fait de ses démentis. Renan dans Histoire et parole, parlant des premiers chrétiens : "ce fut dès lors, en fait de crédulité, une émulation effrayante, et comme une sorte de surenchère. Le mérite consistant à croire sans avoir vu, la foi à tout prix, la foi gratuite, la foi allant jusqu'à la folie fut exaltée comme le premier des dons de l'âme. Le credo quia absurdum de Tertullien fut fondé." Kierkegaard distingue aussi la croyance de la foi : il y a croyance quand il y a de bonnes raisons de croire, l'objet de la croyance c'est le crédible, le possible le cohérent, etc. La foi c'est le contraire : l'objet de la foi c'est, précisément, l'incroyable, l'invraisemblable, l'impossible, l'absurde, ce qui est en dehors de nos conceptions du possible. La foi s'affirme contre nos croyances, en dépit d'elles. Abraham a la foi car il admet l'ordre de Dieu, aussi invraisemblablement injuste qu'il soit, aussi moralement absurde qu'il soit : sacrifier gratuitement l'innocent, sans raisons. Demande scandaleuse. La foi indifférente au rationnel, au raisonnable, à la morale. On n'a aucun mérite à croire : on croit ce qui nous est donné comme crédible, on se contente de suivre notre pente mentale, notre crédulité spontanée. La foi, elle, au contraire, est à rebours de nos croyances ordinaires par quoi elle est méritante, elle est une vertu.
La foi : tout ce par quoi je me prémunis contre toute déception possible. C'est croire volontairement en dépit des faits, qui ne peuvent plus m'atteindre.
La foi et l’utopie. La foi est croyance volontaire en la volonté.
Le sens de la foi peut se donner en partant de ce sens commun rappelé par Alain : « quand on voit qu'un homme qui entreprend quelque chose doute déjà de réussir avant d’avoir essayé, on dit qu’il n’a pas la foi .» ( Propos sur la religion, 27). De cette notion de la foi il tire les vertus théologales en les ramenant sur le seul plan de l’immanence : douter de son entreprise, c’est craindre trois choses : les autres hommes, les nécessités extérieures et soi-même. Or faire crédit aux autres hommes, c’est la charité (« tenterais-je seulement d’instruire un homme si je le croyais stupide ? ») ; croire que les nécessités extérieures, de fait indifférentes, permettront, si je cherche à les comprendre et les utiliser, à mon entreprise de réussir, c’est l’espérance (l'espérance est tout autre chose que l'espoir, elle est la vertu de la volonté - l'espoir est un souhait qui s'en remet à de l'autre pour se réaliser, l'espérance c'est de la volonté qui s'en remet à soi -); croire enfin que je saurai vouloir, que j’aurai la force d’entreprendre sans bien sûr pouvoir fonder cette croyance sur l’expérience car, précisément, c’est l’expérience qui en dépend, c’est la foi, c'est-à-dire croyance volontaire en la volonté.
Remarquer que la foi est à la fois une des vertus théologales et ce qui est au principe des trois vertus théologales.
L’utopie a cette possibilité que lui donne la foi, l’espérance et la charité ( « car la paix et la justice dépendent des hommes seulement »). En effet l’utopie a ce même rapport à l’expérience que la foi : c’est l’expérience (on pourrait dire le réel) qui dépend de l’utopie (ce qui est sans lieu, c’est-à-dire en dehors de l’expérience) et non le contraire et qui ne peut donc être évoquée contre elle.
Peut-être là la vérité de l’utopie : ce qui ne doit pas attendre la preuve de sa possibilité pour être entreprise car elle relève de la foi qui se définit par la volonté en tant que la volonté est soutenue par ces trois vertus sans lesquelles elle n’est même pas volonté (« vouloir sans croire que l’on saura vouloir (…) ce n’est point vouloir »).
La foi et la croyance, le savoir et le doute.
Formule d’Alain, encore : la foi est une croyance volontaire.
Alors la croyance n'est pas la foi :
La croyance se donne dans l’immédiateté de la certitude (absence de doute). Croire c’est croire qu’on sait, la croyance s’ignore comme croyance, elle est sans réflexivité. La croyance est le contraire du doute.
La foi, au contraire, est une croyance qui se sait telle. Avoir la foi c’est savoir qu’on croit (alors que croire c'est croire qu'on sait), c’est-à-dire savoir qu’on ne sait pas et même avoir la certitude qu'il n'y a pas de certitude, et décider cependant de croire. C’est pourquoi le doute est constitutif de la foi. La foi ne s’oppose pas au doute. Ce sont deux notions qui ne sont pas du même registre. Le douteux est du registre du savoir, c’est le contraire de la preuve ou de sa possibilité, de la "probabilité " au sens ancien du terme, ce qui est probable, c'est-à-dire prouvable , susceptible de preuve. Le contraire du douteux c'est le probant, ce qui relève du domaine où la preuve est possible. La foi est du registre du fier, de la confiance (voir plus haut), ce qui s’accorde sans preuve et parce que la preuve n’est pas possible, du domaine de "l'improbable" donc. Et la foi sait qu’elle est essentiellement croyance, c’est-à-dire hors de la sphère du probant, donc relève de celle du douteux. L’objet de la foi, c’est l'essentiellement non probant, c’est l’essentiellement douteux (ce qu'on sait avec certitude être incapable de certitude).
Prétendre qu'on ne doute de rien, c'est manifestement être de "mauvaise foi".
J'ai la foi selon Kant quand, bien que sachant le contenu de ma croyance objectivement insuffisant (C'est l'essentiellement douteux dont on vient de parler), ma conviction n'en souffre pas pour autant : il est suffisant que ma croyance se donne comme subjectivement suffisante et seulement subjectivement suffisante. C'est dire que la foi est abandon volontaire de la raison. Elle se sait sans raison. Elle se veut sans raison. Elle se veut parce que sans raison. Elle vaut parce que sans raison. Dans la foi, le caractère douteux (absence de preuve possible) reconnu de la croyance n'affecte en rien ma conviction puiqu'elle la valide comme foi. La foi est radicalement extérieure au savoir : les "raisons" que j'ai de croire ne dépendent pas de la "vérité" (suffisance objective) de ma croyance . Elle n'est pas non plus une opinion : dans l'opinion, j'ai conscience de l'insuffisance aussi bien objective que subjective de ma croyance, elle n'est pas un savoir dans lequel la suffisance subjective se fonde sur la suffisance objective, le savoir est "intention de vérité" : je n'accorde ma croyance (ce à quoi j'adhère) que si et seulement si (au-delà de mes certitudes subjectives) elle respecte les exigences de la vérité objective. Savoir c'est croire en la vérité.
Bref, la foi n'est pas affaire de vérité, elle ne doit pas dépendre de la vérité de ma croyance. Elle est alors affaire de sens parce qu'elle est toute entière besoin de sens. Kant ne dit rien d'autre quand il écrit que la foi n'est pas une "certitude logique" mais une "certitude morale", à savoir que les exigences humaines (qui sont exigence de sens plus que de vérité) aient du sens, c'est-à-dire puissent être satisfaites. L'objet de la foi, ce sont les conditions de possibilité de la satisfaction du besoin de sens.
Il y a même cette étrange logique des rapports de la foi et du doute que je ne réussis pas à mieux définir qu'en parlant d'infinité de la foi, c'est-à-dire d'absence d'extériorité, de totalité, d'autosuffisance (logique de l'autoréférence évoquée plus haut): la foi c'est espérer que Dieu ou la foi elle-même nous sortira des ébranlements de la foi : "il arrive parfois qu'on se sente troublé dans sa foi. À cela il n'y a qu'un seul remède et c'est d'implorer Dieu qu'il nous fortifie dans notre foi" (Baal Shem Tov, rabbin du XVIIIe siècle, fondateur du hassidisme). Absence d'extériorité donc, la foi ne peut trouver qu'en elle-même, les renforts contre ce qui la menace. On ne peut conserver la foi que si on ne l'a pas perdue. Enfermement volontaire.
Paradoxe alors de la foi : avoir la foi c’est ne pas douter subjectivement (décision volontaire de croire) de ce qu’on sait objectivement douteux (être essentiellement incapable de preuve) car la foi qui s’exclut du registre du savoir pour relever exclusivement de celui de la confiance, est précisément ce qui s’accorde sans preuve, malgré l’absence de preuve, malgré le doute et même parce qu’il n’y a pas de preuve quand ce n’est pas parce que c’est "incroyable" ( Kierkegaard) sinon la foi ne serait pas une vertu, le mérite de la foi serait perdu.
Le savoir, au contraire, se passe de la confiance et est le refus de s’en satisfaire.
La foi se passe du savoir et est le refus d’y recourir (citation de Voltaire ci-dessus ).
Je n’ai pas besoin d’avoir confiance en mon professeur de mathématiques pour admettre ses démonstrations qui ne valent que de se suffire à elles-mêmes ; si j’avais besoin d’avoir confiance, je serais dans l’argument d’autorité, je serais donc en dehors des mathématiques et c’est parce que le mathématicien n’a nullement besoin de se fier à quelque maître que ce soit que les mathématiques sont un savoir.
Alors que la défiance (ou la méfiance) à l’égard du prêtre est une menace pour la foi.
Cependant, la religion lutte contre le doute, tout croyant n'est pas capable de foi : appelons "catéchisme" tout enseignement qui s'affaire à colmater les failles par où le doute pourrait s'insinuer. Pensée sans aucun doute. On masque les insuffisances objectives. On substitue la croyance à la foi dans la catéchèse.
Laisser place à la foi.
Les trois incroyances chez Kant (les positions négatives des antinomies) :
-Pas de sujet conscient (âme), c’est le matérialisme.
-Pas de liberté de l’être humain, c’est le fatalisme.
-Pas de Dieu, c’est l’athéisme.
Les incroyants, comme les métaphysiciens (qui prétendent montrer la vérité des options positives correspondantes), parlent en dehors du champ de l’expérience possible. Incroyants et métaphysiciens pensent avoir des connaissances possibles sur Dieu, l’âme et la liberté humaine. Kant les renvoie dos à dos. La position de l’incroyance dont parle Kant ici n’est donc pas simple abstention de la croyance mais affirmation d’un savoir négatif (l’agnosticisme est au contraire en cohérence avec Kant, c'est le savoir du non-savoir).
La prétention des incroyants est aussi erronée que celle des métaphysiciens (supposent tous les deux que ces questions sont des objets de savoir, ce qu’ils ne peuvent être). Kant ruine donc en même temps les prétentions des métaphysiciens et celles des incroyants.
Mais si on accepte, non le savoir, mais de penser dans les termes pratiques de l’espérance, voilà place pour la croyance.
La croyance s’oppose donc à deux choses : l’incroyance et le savoir. La CRP, au final, réduit, s’agissant des questions métaphysiques, le savoir à l’incroyance, laissant donc place à la croyance. Le croyant, au contraire du métaphysicien et du libertin (autre nom de l’incroyant), ne sort pas de la sphère qui lui est permise. Se délimite alors un espace soustrait à toute possibilité, donc à toute exigence, de vérification et, du même coup, à toute possibilité de falsification. Un autre ordre.
D’où laïcité : Kant en même temps défend totalement la science dans son domaine où s’affirment causalité et déterminisme. La science est et doit être matérialiste. Kant exclut donc par là que la religion s’en mêle. De même l’homme dans sa croyance morale et religieuse est pleinement légitimé. Ce qui suppose que la croyance ne se prenne pas pour un savoir, ce qu’il faut alors appeler la foi.
Pour agir moralement nous n’avons pas besoin de connaissances mais de croyances.
Voir dans ces articles, "Notes 2", "la foi selon Kant"
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