Le mal, le savoir et l'obéissance.
Le mal, le savoir et l’obéissance.
Adam ne fait rien d’autre que de désobéir à une injonction divine sans en connaître le sens car l’objet de cette désobéissance est cet accès au savoir qui permettrait de le saisir.
Le mal initial est donc pure désobéissance.
« La première loi, que Dieu donna jamais à l’homme, fut une loi de pure obéissance : ce fut un commandement , nud et simple où l’homme n’eut rien à connaître et à causer (discuter), d’autant que l’obéyr est le propre office (devoir) d’une âme raisonnable, recognaissant un céleste, supérieur et bien-facteur. De l’obeyr et céder nait toute autre vertu, comme du cuider (présomption) , tout péché (…) et au rebours : la première tentation qui vint à l’humaine nature de la part du diable, sa première poison s’insinuer en nous, par la promesse qu’il nous fit de science et de connaissance (...). Voilà pourquoi l'ignorance nous est tellement recommandée par notre religion comme élément approprié à la foi et à l'obéissance. » (Essais, l’Apologie… Pl.514)
La Bible s’inaugure dans l’apologie de l’obéissance et de l’ignorance.
C’est que toute désobéissance comme toute exigence de savoir est manque de foi.
« Croire c’est se confier pleinement, c’est accepter la volonté de Dieu et y acquiescer ; c’est la plénitude de l’obéissance ». (Luther, Livre de la liberté chrétienne). Et Abraham : la foi est obéissance inconditionnelle, au-delà de toute compréhension. Le mal initial, objectivement pure désobéissance, non respect d’un interdit dont Adam ne peut comprendre le sens qui ne peut lui être donné que dans sa transgression, est, subjectivement (attitude de l’âme) manque de foi. Le mal initial est donc bien éloignement de Dieu. Son châtiment n’est donc rien d’autre que son contenu : absolue immanence de la justice divine : le châtiment est l’acte lui -même.
Pour Freud le mal est d’abord vécu par l’enfant comme ce qui provoque la menace du retrait d’amour, comme ce qui provoque le mécontentement, la colère de l’autorité. Ainsi d’Adam.
La foi est alors une confiance absolue c’est-à-dire donnée sans conditions, en toute gratuité et volontairement. Il n'y aurait de véritable foi qu'aveugle. Alors si la foi est une grâce, un don, il ne s’agit pas tant d’une grâce que reçoit celui qui a la foi, que d’une grâce qui émane de lui, un don de sa part.
Interprétation de Spinoza.
Ce qu’Adam prend pour une injonction morale, selon Spinoza, n’est en fait qu’un conseil pour le prévenir non contre la tentation du mal mais du caractère « mauvais » du fruit de cet arbre qui l’empoisonnera parce que non convenant à sa nature. Non pas la révélation du bien et du mal mais celle du bon et du mauvais.
La question qu’on poserait à Spinoza est de savoir pourquoi cet interdit, alors, porte sur le savoir qui est ce par quoi on pourrait identifier le bon et le mauvais pour nous ( de fait c’est seulement du bon et du mauvais qu’un savoir, au sens véritable du terme ( c’est-à-dire d’un rapport objectif et expérimentable de la chose à notre nature), est possible et non du bien et du mal) et donc comprendre le sens de la parole divine comme simple conseil. Autrement dit s’il s’agit d’un conseil et non d’un impératif moral, c’est un conseil qu’Adam doit croire sur parole, si on ose dire, car par l’interdit du savoir il est privé de sa compréhension. Absolue confiance donc.
Alors on retrouve encore le sens du mal initial : non pas seulement désobéissance et insoumission mais manque de confiance en la parole divine, c’est-à-dire manque de foi.
C'est dans Autorités théologico-politiques que Spinoza analyse le sens de la foi dans les Écritures.
Le chapitre XIV soutient cette thèse que "l'Écriture a pour but unique d'enseigner l'obéissance (...) A.T & N.T. ont pour unique objectif d'obtenir une soumission volontaire (...) Croire en Dieu et le révérer reviennent à lui obéir" (Pl. 804, 805). La foi se confond très exactement avec l'obéissance. Spinoza pense là définir "la foi universelle commune à toute l'humanité " qui peut s'exprimer minimalement, en-deçà de toute discussion (comme chez Montaigne), une foi universelle commune qui ne laisse pas "le moindre prétexte de discussion au sein de l''Eglise" (809). Donc un minimum indiscutable, donc objet de foi, mais de foi seulement (tout ce qui est discutable doit faire l'objet de la tolérance, de la liberté de pensée et donc hors de la foi, par exemple : "quand à savoir ce qu'en soi est ce Dieu ou modèle de vie, peu importe qu'il soit feu, Esprit, lumière, pensée, etc. La réalité exacte de son être n'a rien à voir avec la foi" (810), voir la suite où il propose d'autres exemples de conceptions indifférentes à la foi et dans lesquels on peut retrouver le concept de Dieu défini dans l'Éthique). Foi qui "se résume en cet unique commandement : Aime ton prochain (...) Il s'ensuit que l'Écriture ne nous oblige à croire que le minimum indispensable à l'exécution de ce commandement".
"Avoir la foi, c'est simplement former à l'égard de Dieu certaines pensées, dont l'ignorance ou l'abstention feraient du même coup disparaître l'obéissance " (806.) Tout article de foi émane de l'exigence de fonder et maintenir l'obéissance.
Foi dont la manifestation est purement pratique : "un homme n'est vraiment habité de l'Esprit de Dieu si [et seulement si ] Il pratique la charité". Il se réfère à Jean (I, 4) qui identifie la connaissance de Dieu à la pratique de la charité : "il est impossible de penser ni de percevoir Dieu, sinon par la pratique de la charité envers le prochain ". La connaissance est identique à la pratique, elle est impliquée dans la pratique. On ne peut connaître, selon Jean, "d'autre attribut divin que la charité" et la connaître c'est la pratiquer. C'est dire que la foi n'est nullement affaire de savoir.
Si bien que les véritables ennemis de la foi sont ceux qui font prévaloir le respect d'un dogme sur les oeuvres, " ceux qui poursuivent les hommes de bien aimant la justice, lorsque ceux-ci ne pensent pas comme eux et ne s'attachent pas à défendre les mêmes articles de foi" (807). L'ennemi de la foi c'est l'intolérance en matière de dogme. Rappelons qu'il s'agit dans cet ouvrage, pour Spinoza, de plaider pour la liberté de penser, de philosopher. Il s'agit de séparer totalement la foi et la Philosophie.
L'Écriture n'est pas affaire de savants, "elle ne blâme jamais l'ignorance, mais uniquement l'insoumission".
Les dogmes de cette "religion universelle" vont se résumer à un ensemble de croyances indispensables à la pratique de l'obéissance, "autrement dit qui confirment les coeurs dans l'amour du prochain" (808).
Sept dogmes fondamentaux sont nécessaires, "dans l'ignorance desquels l'obéissance serait absolument impossible" qui doivent donc développer une définition de Dieu, minimale, capable de produire une obéissance absolue (inconditionnelle) et rien d'autre, Dieu n'est ici rien d'autre que le Sujet capable de générer une obéissance absolue :
- Croire qu'il doit exister "un Être souverainement bon et miséricordieux ou, en d'autres termes, modèle de vie vraie", on ne peut se fier, accepter d'obéir qu'à un Être qu'on sait vouloir nécessairement notre bien.
- Qu'il soit un Être dominant tous les autres. C'est le dogme de l'unicité et de la souveraineté, faute de quoi la vénération, comme l'obéissance s'adresseraient plutôt à l'Etre qui le domine.
- Dieu est partout, à accès à tout. Pour me fier absolument, il faut que l'Etre auquel je me fie aie la capacité de réaliser la justice dans sa perfection et donc connaissance de tout.
- À cette connaissance absolue de tout ce qui est doit s'ajouter la toute puissance, faute de quoi il pourrait se trouver dans l'incapacité de réaliser sa justice. Cette toute puissance est, par ailleurs, ce qui sépare radicalement Dieu des hommes puisqu'alors que tous les hommes sont obligés d'obéir, Dieu n'obéit a personne, par quoi je peux lui obéir inconditionnellement.
- Il faut définir maintenant en quoi consiste l'obéissance dont la nécessité est maintenant établie, autrement dit comment doit se manifester la foi : cette "obéissance qui lui est due ne consiste qu'en la justice et la charité ". Le culte de Dieu consiste donc à se comporter à l'égard du prochain comme Dieu se comporte à l'égard des hommes. Dieu est "modèle de vie vraie" (comme il est défini dans le premier dogme). Dieu est le Christ.
- Et il faut croire en la nécessité et la suffisance de cette obéissance pour mon salut. Faute de cette certitude, mon obéissance ne pourrait être inconditionnelle. La foi doit être faite de certitudes absolues.
- Enfin Dieu doit être miséricordieux (pardonner leurs fautes à ceux qui s'en repentent), faute de quoi, l'homme désespérerait de son salut, perdrait confiance et toute raison de se soumettre et d'obéir.
Il existe donc bien des dogmes mais qui ne consistent qu'à fonder la possibilité de la foi qui se définit par l'obéissance absolue qui,elle, s'identifie à l'amour du prochain. Ne peuvent donc être condamnés "comme hérétiques et schismatiques, que les individus professant des croyances susceptibles de répandre parmi leurs semblables l'insoumission, la haine,les querelles et la colère" (812). Et il n'y a nul besoin d'exiger des individus qu'ils professent ces dogmes mais seulement, pour les considérer comme croyants, "qu'ils prêchent autour d'eux, la justice et la charité dans la mesure où leur raison et leurs aptitudes le leur rendent possibles" (812).
Ainsi le sens de la foi est exactement cerné, ce qui permet de libérer ce qui n'en relève pas. La foi est strictement séparée du savoir, la foi n'est pas affaire de vérité, (ni donc d'erreur : "les hommes peuvent demeurer dans l'erreur la plus profonde quant à la nature de Dieu sans pour cela encourir le moindre reproche" (801)) mais de ferveur et d'obéissance. "La philosophie ne se propose que la vérité et la foi (...) que l'obéissance (...). La foi laisse donc à chacun la liberté totale de philosopher " (812). Cette séparation qui permet des libertés réciproques implique qu'elles ne peuvent entrer en contradiction sinon elles ne pourraienr " régner chacune en leur royaume -l'une ou l'autre [devrait céder la place]" (822, voir pour cette question des rapports foi et raison, c'est-à-dire théolgie et philosophie, le chapitre XV). Pourquoi cette liberté de philosopher est, par ailleurs, indispensable à la foi puisque les réponses aux questions "discutables" dont on a parlé plus haut sont essentielles pour chacun afin "d'adapter les dogmes de la foi universelle à sa mentalité propre" (en quoi elles ne peuvent prétendre à se donner comme vérités universelles) et cette adaptation est nécessaire à l'authenticité de la foi "de sorte que son obéissance à Dieu vienne également d'un élan sincère" (811) et par conséquent sans résistance de la pensée, sans hésitation... en quoi consiste, précisément, cette obéissance inconditionnelle qu'est la foi, et obéissance seulement, exclusivité qui est la condition même de son universalité : c'est parce que la foi est fondée sur la seule obéissance qu'elle peut être universelle car "hommes, femmes, enfants ont une égale aptitude à obéir, mais non à pratiquer la sagesse " (800) ou encore : "tous (les hommes) sans exception, peuvent obéir, tandis qu'une fraction assez faible du genre humain atteint à la valeur spirituelle, sans autre guide que la raison". "De sorte que l'Écriture a apporté aux hommes une immense consolation (...) et à défaut de [son] témoignage, nous douterions du salut de la majorité des hommes" (824).
Conscience morale et conscience de soi.
Manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ce n’est pas seulement accéder à la conscience de la différence du bien et du mal ( sous la forme étonnante d’une simple inconvenance : la nudité) mais c’est prendre conscience de soi, au propre de rendre compte à soi-même de ce qui, pourtant, était déjà là, évident, nullement caché : « alors se dessillèrent leurs yeux à tous deux et ils surent qu’ils étaient nus ». C’est exactement ce qu’on peut appeler une « prise de conscience ». La conscience morale est la conscience de soi. Et la nudité dont il s’agit est celle du sexe uniquement : « ils cousirent donc des feuilles de figuier et se firent des ceintures ». Alors, le mal ? Manifester son désir, susciter le désir. C’est essentiellement de l’inconvenance…
L’innocence.
Le double sens de ce terme est à référer au double sens du mot conscience noté ci-dessus : moral ( non coupable) et cognitif (ignorant), l’innocent est aussi celui qui ne voit pas où est le mal ou plutôt la malignité, la malice des autres. L’innocence est incapable du mal sans la médiation de la tentation dont le sens est de saper l’autorité légitime car ce que dit le serpent à Eve c’est que Dieu n’a pas les moyens de mettre à exécution ses menaces et que l’interdit n’a pas d’autre fin que de maintenir sa domination ( la connaissance du bien et du mal nous en ferait son égal).
La première désobéissance est donc le fait d’une tentation. Premier mal : succomber à la tentation qui déconstruit l’autorité divine et donc la foi de l’homme (toute autorité se fonde sur la confiance car l’autorité, comme le monte Arendt, est le double refus de faire appel à la force et à la persuasion). Mais la condition pour y succomber est l’état d’innocence. Adam et Ève font le mal sans savoir que c’est le mal qu’on ne peut connaître qu’après l’avoir fait parce qu'ils sont innocents.
L’origine du mal est l’état d’innocence.
Dieu tentateur.
L’objet de l’interdit est en même temps l’objet du désir : «la femme vit que l’arbre était bon à manger et qu’il était agréable aux yeux et que l’arbre était plaisant à contempler » ( Genèse III, 6). Le mal est en même temps ce qui est bon… (" tout ce qui est bon est mauvais" dit Freud ). Dieu interdit ce qu’il donne à désirer. Le mal initial a son origine dans l'innocence et son impuissance devant le désir qui est la marque, encore, de l'innocence.
Le péché originel selon Hegel[modifier]
C'est l'acte qui nous sort de l'innocence pré-éthique en deça du bien et du mal (liberté=spontanéité). Goûter de l'arbre de la connaissance du bien et du mal nous fait accéder à la conscience des possibles, à la réflexion sur le choix (accès au libre-arbitre comme pouvoir abstrait de choisir). Et ainsi tous les actes de l'homme sont des actes choisis qui lui sont donc imputables.
En cela ils sont tous des fautes puisque "faute signifie imputabilité" dit Hegel. On prend d'habitude faute dans un mauvais sens, on entend par là que l'homme a mal agi. Or faute signifie au sens général : ce qui est imputable. Être en faute veut donc dire être responsable. Noter qu'il ne s'agit pas d'une chute chez Hegel, l'accès à l'imputabilité est pour Hegel un progrès dans le processus dialectique.
On retrouve à nouveau la confusion conscience psychique et conscience morale : dès que l'homme accède à la conscience de soi ses actes lui sont moralement imputables, ce qui est accéder à la conscience morale.
Mais ce n'est que le moment du libre-arbitre, c'est-à-dire la liberté abstraite (des conditions de l'action) : nous croyons au libre-arbitre quand nous posons abstraitement l'alternative entre A ou B comme deux actions compossibles. Mais le choix ne devient effectif que si une motivation, immanente et concrète, vient soutenir un des membres de l'alternative. C'est seulement abstraitement (abtraction faite du jeu des motivations ou des déterminismes) qu'existe l'alternative entre faire et ne pas faire. Par exemple, je suis au bord du précipice et il est vrai qu'abstraitement, il y a deux possibilités : se jeter ou non. Mais ça n'implique nullement que le choix de l'action que je vais réaliser ait été effectué comme choix véritable c'est-à-dire entre deux actions compossibles équivalemment qui m'étaient parfaitement égales, également dépourvues de motivations ou de déterminations. Que nous puissions nous représenter les deux options comme théoriquement possibles ne signifie aucunement qu'elles sont pratiqument équivalentes.
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