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La quête

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La quête ✒️📰
Thème Philosophie


La Quête

Quelques idées suggérées par les définitions données par les dictionnaires pour introduire : -Sens général : action de rechercher, de partir à la recherche de … Étymologiquement, c’est formé sur le substantif latin quaesitus, du verbe quarere (chercher). Le synonyme le plus proche est donc « la recherche ». Mais quête dit plus que recherche. Selon Le Littré la quête est une « recherche obstinée, fiévreuse, passionnée ». La quête signifie une recherche capable de mobiliser totalement l’existence. Idée donc que la quête peut constituer le sens de l’existence avec ce paradoxe, peut-être, que si la quête aboutit et donc cesse, l’existence n’a plus de sens (voir Pascal). De la même famille que le mot question : la question, le questionnement et leur pratique sont les outils de la recherche. Il existe un art du questionnement par quoi certains définissent la Philosophie ou l’esprit scientifique. Bachelard, par exemple : « avant tout il faut savoir poser des problèmes »(La formation de l’esprit scientifique). Premier acte de la recherche : questionner, problématiser, rester ouvert au questionnement.

-Terme de chasse à courre : c’est l’action du chien qui cherche la voie du gibier (il existe des « chiens de quête »). C’est par métaphore l’action du chasseur lui-même. Le sens central ici est celui de recherche aléatoire. Laissons de côté l’idée que la quête, formidable énergie, peut être exploitée, comme l’homme exploite celle du chien (le gibier, c’est pas pour les chiens) : on sait l’exploitation politique qui peut être faite des quêtes de l’identité ou d’un avenir radieux. Retenons celle-ci : la recherche de la quête peut valoir pour elle même. La recherche du gibier peut, en elle-même, constituer le plaisir de la chasse. Chez Pascal le « divertissement » (dont voici la formule : « les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour être heureux, de n’y point penser » et ce par le divertissement (la diversion) : « le jeu, la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois », bref par le jeu, l’amour, la guerre, le travail) c’est le fait de « choisir la chasse plutôt que la prise ». Le chasseur est moins intéressé par le gibier que par la poursuite du gibier. Ça ne l’intéresse pas d’acheter le gibier en barquettes au supermarché.

Idée donc que la quête pourrait valoir pour elle-même, indépendamment de son objet . Ce qui vaut c’est la quête même sans la conquête.

-Action de demander ou de recueillir des aumônes en général pour des œuvres caritatives. Il s’agit aussi de rechercher aléatoirement des générosités. L’idée ici est que ce qui importe ce n’est pas seulement le contenu des dons mais l’acte de donner lui-même ou l’acte de quêter pour les autres. C’est moins le produit de la quête que l’occasion de cultiver la vertu morale de la charité. Il existe des ordres mendiants pour lesquels la quête est vie évangélique dans la pauvreté et le dépouillement, pour lesquels la quête est discipline spirituelle. La quête est chez les catholiques un moment liturgique.

Idée donc que ce qui importe dans la quête c’est moins l’objet qu’on cherche que les transformations qui s’opèrent dans le sujet à l’occasion de la quête, au sens général, la culture du sujet qui s’effectue.

Résumons : la quête est une recherche existentielle dont l’objet est peut-être indifférent et où l’essentiel consisterait dans la « culture » du sujet, ses transformations morales, intellectuelles, spirituelles, c’est-à-dire pour ses vertus « psychagogiques » diraient les philosophes. Voilà les sens possibles du terme et quelques idées que ça suggère immédiatement qu’il faut maintenant problématiser.

Tout d’abord, quels peuvent être les objets de la quête, que cherche-t-on, qu’est-ce qui peut mobiliser une quête ?

Le champ est indéfini. Le mot peut servir à déterminer, par exemple, l’activité philosophique : le philosophe n’est pas celui qui possède la vérité ou la sagesse mais celui qui se voue à sa recherche même en sachant qu’elle est sans fin par quoi est assurée la pérennité de la Philosophie « car nous sommes nés à [=pour] quester la vérité, il appartient de la posséder à plus grande puissance (…) le monde n’est qu’une école d’inquisition » (Montaigne, Essais, chap. « L’art de conférer »). Ce qui caractérise l’homme c’est la quête pas la possession et, s’agissant de Montaigne, c’est la quête tout en en sachant la possession inaccessible, puisqu’elle n’est permise qu’aux dieux, par quoi certainement il est philosophe. « Inquisition » est un mot de la même famille que celui de quête.

Mais la poule dans le jardin passe sa journée, sans repos, à chercher de la nourriture, en quête de grains, de vers de terre… Elle est même en quête plus souvent que le philosophe qui ne réussit pas à méditer aussi souvent que la poule picore. Et peut-être une quête pas moins essentielle que celle du philosophe avec tout autant de « valeur existentielle ». D’où peut-être le vrai scandale déploré dans l’élevage en batterie des volailles et, pire, du gavage des oies et des canards qui peut s’interpréter comme l’interdit qui leur est fait de la quête de leur nourriture, soit que, comme les premiers, ils pataugent dedans sans pouvoir se déplacer, soit que, comme les seconds, ça leur tombe, au propre, tout cuit dans le bec, le gavage. Le scandale c’est peut-être de leur interdire toute quête, « sens », pourtant, de toute leur existence. Scandale de la dénaturation la plus radicale de l’animalité. Donc les objets de la quête peuvent aller de cette chose minimale et concrète qu’est le grain de blé pour la poule à la vérité ou le bonheur ou la sagesse pour le philosophe et l’homme en général. De fait, dans les emplois du terme, les objets sont indéfinis : quête de nourriture, de logis, d’emploi, de suffrages, de reconnaissance, d’identité, de sens, de soi, du bonheur… Bref tout objet qui peut constituer un besoin, un désir, une valeur. Une proposition de hiérarchisation : Un certain Abraham MASLOW, en 1943, dans un ouvrage proposant une théorie de la motivation hiérarchise les besoins humains en 5 catégories sous la forme d’un pyramide :

5.Besoin de s’accomplir

4.Besoin d’estime

3.Besoin d’appartenance et d’amour

2.Besoin de sécurité

1.Besoins biologiques, physiologiques.

Autrement dit, de bas en haut : 1-Besoin qui assure la survie de l’espèce et des individus (faim, soif, respiration, sexualité) 2-Besoin de conservation d’une existence, d’un acquis, sécurité du corps, de l’emploi, de la propriété… 3-Dimension sociale des besoins : se sentir accepté dans un groupe (famille, travail, association), besoin d’intégration, besoin d’être aimé. 4-Au-delà du besoin d’appartenance, besoin d’être reconnu dans sa singularité. 5-Sommet des aspirations humaines pour Maslow : besoin de donner un sens à sa vie (satisfait par exemple par les spiritualités, les sagesses... mais aussi par des engagements. Retenir que la quête la plus essentielle c’est l’accomplissement de soi. Noter par ailleurs qu’un même objet peut, en se donnant des sens différents, permettre la satisfaction de tous ces besoins : par le travail on peut satisfaire les besoins biologiques, de sécurité, s’intégrer, être reconnu par les autres et donner un sens à sa vie. Cette pyramide, célèbre, a été remaniée, commentée, discutée abondamment… Pour Maslow, qui en est à l’origine, il y a hiérarchisation des besoins en ceci qu’on se préoccupe d’un besoin supérieur, on part en quête de sa satisfaction, si le besoin inférieur, sans être satisfait à 100 %, n’est plus pour autant l’objet d’une quête qui occupe toute l’existence de l’individu donc est déjà suffisamment assuré d’être satisfait. On part en quête d’un besoin supérieur si on est libéré de la quête des besoins inférieurs. On utilise par exemple cette pyramide en pédagogie pour montrer, pense-t-on, que le besoin d’apprendre chez l’enfant, qui est d’accomplissement de soi quand il est vécu pleinement, ne peut apparaître que quand les quatre autres besoins de base sont satisfaits. Un enfant dont les besoins de sécurité, d’appartenance ou d’estime ne sont pas satisfaits ne serait pas disponible pour les apprentissages. Ce qui pour Maslow fait preuve pour cette hiérarchisation c’est le fait que quand, dans la vie d’un individu, plus ou moins brusquement, un besoin de base n’est plus satisfait, il devient prioritaire sur tous les autres dont alors la satisfaction n’est plus une préoccupation : quand un individu a vraiment faim il devient moins regardant sur les dates de péremption des yaourts qui est une préoccupation de second niveau, de sécurité. Mais on peut proposer entre ces besoins d’autres relations que de satisfaction hiérarchisée et, peut-être, proprement humaines qui organisent autrement les quêtes diverses. Par exemple, aux extrêmes, certaines formes d’accomplissement de soi dans certaines spiritualités supposent des abstinences, le jeûne par exemple (refus de la satisfaction des besoins de premier niveau), des renoncements à certaines sécurités matérielles (se dépouiller de tout), le renoncement au besoin d’appartenance (« tu quitteras ton père et ta mère... »), le mépris des honneurs (le besoin de reconnaissance), etc. Dans tous ces cas la quête des objets supérieurs, au contraire de supposer la satisfaction de celle des objets inférieurs, suppose le refus volontaire de les satisfaire. L’épanouissement dans l’ascétisme qui suppose le mépris des conditions matérielles de l’existence. La sublimation freudienne elle-même dit cela que les vocations spirituelles supposent les renoncements aux satisfactions de la libido. Mais si la logique est inverse (la satisfaction des besoins de haut rang suppose le refus de la satisfaction des besoins inférieurs et non leur assurance), il y a toujours hiérarchie puisque c’est précisément parce que les besoins spirituels sont supérieurs aux besoins matériels que ceux-ci sont méprisables. On ne connaît pas de sagesse qui prône le mépris de l’accomplissement de soi pour valoriser la satisfaction des besoins biologiques, même pas l’hédonisme épicurien, de fait, paradoxalement, ascétique, et même si certaines sagesses, et même beaucoup, heureusement, peuvent considérer que la satisfaction des besoins physiologiques n’est pas incompatible avec l'accomplissement de soi. Les expériences limites ( la vie concentrationnaire, la maladie…) confirment autant qu’infirment les idées de Maslow. Par exemple, la littérature des camps (Dostoïevski, Chalamov, Evguénia Guinsbourg, Soljenitsyne, Primo Levi…) est très riche sur ce thème qui dessine des hiérarchies morales qui sont de fait des inversions de la hiérarchie de la pyramide des besoins. En bas ceux qui perdent toute dignité, tout souci de l’estime d’eux-mêmes et des autres pour satisfaire leur faim (la logique de Maslow fonctionne : l’intérêt pour la satisfaction des besoins supérieurs disparaît quand celle des besoins inférieurs est menacée). Inversement, certains réussissent à maintenir leur dignité, à ne pas se laisser avilir, à ne pas perdre leur humanité, à continuer à faire prévaloir les besoins supérieurs. Et, au sommet, peut-être, ceux qui trouvent là l’occasion de leur accomplissement (exemples de « sainteté concentrationnaire » chez Soljenitsyne). De fait on retrouve assez exactement la querelle Chalamov/Soljenitsyne, le premier soutenant que le camp ne fait qu’avilir, le second qu’il fut aussi l’occasion d’exploits moraux et spirituels peut-être même la condition de l’accomplissement moral et spirituel de certains. On retrouve exactement le même débat s’agissant de la maladie, de la souffrance et de la douleur entre le dolorisme qui prétend qu’à les traverser on en devient humainement meilleur et plus intelligent et le refus de ce dolorisme qui pose toute souffrance et toute douleur comme insensée et déshumanisante, « la confrontation à la maladie mortelle ( …) [pouvant] rétrécir notre horizon mental et affectif en nous focalisant sur les signes très terre à terre de notre possible survie » ( Ruwen Ogien, Mes mille et une nuits, 2017, où l’auteur, philosophe, réfléchit son expérience de malade atteint d’un cancer et argumente contre le dolorisme).


On s’intéressera plutôt aux objets du haut de la pyramide qui permettent de problématiser radicalement la quête. Quand on part en quête des objets supérieurs, on rencontre en effet une triple difficulté :

1- On ne sait pas exactement ce qu’on cherche :

« Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut » (Kant).

Autrement dit, le bonheur est à la fois l’objet du désir le plus universel et l’objet de l’ignorance la plus répandue. Tout le monde désire être heureux et personne ne sait en quoi ça peut consister.. On ne sait pas ce qu’est le bonheur car on ne peut le savoir qu’en le vivant et donc en l’ayant atteint : « la recherche du bonheur est contradictoire avec la nature du bonheur (…) Il est contradictoire de rechercher avant ce qui ne peut être conçu qu’après » (M. Conche, Nouvelles pensées de métaphysique et de morale, 2017). On pourrait prendre pour en dire la même chose l’exemple d’objets comme la vérité, le sens…

2-On ne sait même pas à quoi on pourrait reconnaître ce qu’on cherche si on le rencontrait : Ménon à Socrate , s’agissant de la recherche de ce qu’est la vertu : « Mettons au mieux : tomberais-tu dessus, comment saurais-tu que c’est ce que tu ne savais pas et que tu cherchais à apprendre ? » (Platon, Ménon). Le bonheur, tout comme la santé ne se reconnaît pas quand il est là. « La santé est le silence des organes » dit Bichat. Dans la santé, le corps se fait oublier. On ne reconnaît la santé, comme le bonheur, que quand on les a perdus. On ne les vit pas, on ne peut que les regretter.

3- On ne sait pas comment chercher : Il n’y a pas de chemin tracé. Chemin se dit « méthode » en grec. Pas de méthode de la recherche, pas de recette à suivre pour atteindre l’objet de la quête parce qu’il n’y a de recette ou de méthode que là on peut réemprunter un chemin qui a abouti, c’est-à-dire quand on a déjà trouvé.

En résumé la quête consiste à s’embarquer en dépit d’une triple incertitude : 1-On ne sait pas vraiment où on va ni même si ce qu’on cherche existe vraiment. 2-On ne sait pas à quels signes reconnaître ce qu’on cherche si on le trouve. 3- On ne sait pas quel chemin emprunter. Alors, est-ce que toute quête n’est pas nécessairement insensée ?

On peut réduire à deux questions : 1-Quelle est la nature de l’objet de la quête et quel est le rapport de la quête à son objet ? 2-Quelle méthode pour la quête ?


1-Première question : la quête et son objet. On a dit les incertitudes qui habitent et définissent la quête. Or pour revenir à notre poule, l’objet de sa quête, s’agissant de son existence, n’est pas incertain. On sait d’expérience que les grains de blé et les vers de terre existent et qu’il est donc possible d’en trouver. C’est « une possibilité empirique », l’expérience a déjà montré que ça existait réellement (ça se distingue d’une possibilité simplement logique, seulement non contradictoire pour la pensée). L’incertitude porte seulement sur le lieu où trouver, s’il y en a là ou pas. D’où la recherche erratique, aléatoire de la poule mais qui finit toujours par payer. Mais s’agissant des objets idéaux : le bonheur, la vérité, la vertu, le salut, le sens… ce qui fait problème, c’est leur existence même. Aux idéaux de la quête ne correspondent peut-être que des concepts négatifs (le bonheur qui se définit comme absence de malheur) c’est-à-dire des concepts sans objets. Chacun d’eux ne serait que l’absence ou la négation de son contraire, lui, bien réel. La justice, par exemple : on dit des enfants qu’ils sont très tôt sensibles à l’injustice. Et pourtant ils sont incapables de définir la justice. Signe alors que l’injustice serait bien une réalité sensible et la justice un simple « être de raison ». On ne sait pas ce qu’est la justice mais on sait ou on sent très bien ce qu’est une injustice. La Justice serait alors une simple « idée régulatrice » (Kant) qui nous mène et nous guide dans la lutte contre les injustices. Quelqu’un de juste n’est pas quelqu’un qui serait guidé par un concept exact et maîtrisé de la justice mais quelqu’un qui ne supporte pas les injustices, d’en être victime ou d’en commettre, et qui agit en conséquence. C’est une exigence de philosophie politique que de refuser aux pouvoirs de chercher à imposer une justice abstraite (on en sait les conséquences tragiques quand elle fut comprise en termes égalitaristes, par exemple) en réclamant d’eux qu’ils se contentent de lutter contre les injustices concrètes (Voir A. Glucksman). De même, on l’a vu, il n’existe pas de concept cohérent du bonheur mais on éprouve avec certitude le malheur, les peines et les souffrances :"Si l'on peut posséder le bonheur sans le savoir, quand on souffre on le sait toujours" (H. Bosco, L'Antiquaire). Et, on le sait, la suppression même des souffrances ne suffit pas à faire le bonheur : si le chômage est vécu comme un malheur, le travail ne suffit pas pour autant au bonheur. Si c’est une souffrance de ne pas avoir de domicile, on n’est pas pleinement heureux pour autant d’en avoir un. Bref on peut combler tous les manques et que manque encore... le bonheur. « Il a tout pour être heureux… Oui, sauf le bonheur ». Pour Schopenhauer le bonheur n’est rien de positif, il n’est que l’absence de souffrance. Mais l’absence n’est rien et ne peut pas nous combler. On ne sait pas quel est le sens de l’existence mais on éprouve avec certitude, même si on fait tout, comme le montre Pascal, pour le cacher, les insignifiances et les absurdités. La vérité : un épistémologue contemporain dominant (Popper) explique, en gros, qu’il ne peut pas y avoir, même en science, de certitude de la vérité (imaginons qu’on construise un modèle qui représenterait effectivement les choses comme elles sont en elles-mêmes (=la vérité), on ne pourrait avoir aucune certitude de cette adéquation). Il ne peut y avoir de certitude que du faux ou de l’erreur, ce qui suffit à expliquer le progrès des sciences et du savoir qui consiste à surmonter les erreurs initiales (de « l’expérience première » pour Bachelard), des crédulités, des représentations erronées… La science n’est pas dans son progrès accumulation de vérités mais dépassement, correction, d’erreurs, constitution d’un passé dépassé. Les pédagogues constructivistes pensent qu’un réel apprentissage est le dépassement d’une erreur comprise, des erreurs qu’il faut avoir traversées et dépassées ; absurdité d’une « vérité révélée » (Alain, Propos sur l’éducation). La quête de la vérité procède donc de la conscience d’une insatisfaction : Socrate répète qu’on ne peut chercher la vérité que si d’abord on a acquis le savoir qu’on ne sait rien. Dieu lui-même pour les tenants de la théologie négative. Il ne serait que le négatif de notre misère, de notre finitude : in-fini, in-créé. Sa perfection : la négation de nos imperfections.

En résumé les visées de la quête seraient non pas des objets existants mais des Idées construites par des sujets pensant et désirant comme négatifs de leurs limites, de leurs insuffisances, de leurs finitudes et de leurs souffrances concrètes et réelles.

La quête crée son objet. C’est certainement une des idées fondatrices de l’humanisme que de penser l’essence humaine comme manque radical, comme pure puissance condamnée à s’inventer elle-même. Et c’est ce qui fonderait sa dignité :  « Dieu prit donc l’homme, cette œuvre indistinctement imagée [=ne correspondant à aucun modèle préexistant], et l’ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole dans ces termes : « Si nous ne t’avons donné Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurait souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres [les animaux], leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c’est ton propre jugement, auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature (…) doté du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donneras la forme qui aura ta préférence (…) tu pourras dégénérer en formes inférieures qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines (…) Admirable félicité de l’homme ! Il lui est donné d’avoir ce qu’il souhaite, d’être ce qu’il veut. » (Pic de la Mirandole, De la dignité de l’homme, 1486) . Bref, « Dieu a créé l’homme le moins possible » (Blanc de Saint-Bonnet). Le destin de l’homme est donc de se chercher, mais se chercher, c’est se construire, s’inventer, se créer car il n’existe aucune essence donnée, aucun modèle préexistant. L’humanité est condamnée à chercher l’humanité sans avoir idée de ce qu’elle peut être.

Si la quête a à créer son objet, c’est bien sûr qu’elle n’en a pas. Ce qui expliquerait ce qui la caractérise : d’être passionnée et sempiternelle. Clément Rosset interroge la pérennité de la question du sens à travers l’histoire de la Philosophie : « Pour être permanente, pour n’avoir aucune raison de cesser, quoi qu’il puisse arriver, une recherche doit satisfaire à une double condition : d’être en prise sur un désir non susceptible de se tarir, et être hors d’état d’aboutir jamais. Il faut à la fois que la volonté de trouver soit inébranlable et que le risque de découvrir soit nul. » (Le réel, traité de l’idiotie, 1977). Noter, on le reverra plus tard, que ces deux conditions n’en font peut-être qu’une : c’est parce que le désir est « hors d’état d’aboutir jamais » qu’il est intarissable. La pérennité de la question (de la quête) du sens procède d’un désir intarissable de sens et du fait qu’il n’y a aucune chance de le trouver jamais. Et cette deuxième condition est au mieux satisfaite par son absence. Donc qu’il y ait une recherche du sens ne signifie aucunement qu’il puisse et doive y avoir du sens, mais seulement qu’un désir existe motivé « par le refus, de la part de beaucoup, de se rendre à l’évidence du non signifiant, d’admettre que ce qui existe ne veuille rien dire » (idem). Bref l’homme est en quête de sens non parce qu’il y a du sens à découvrir mais parce qu’il ne supporte pas qu’il n’y en ait pas. Pour Rosset donc, être philosophe ce n’est pas être en quête du sens, mais apprendre à vivre et à penser dans un monde dépourvu de sens, réduit au seul réel donné (à l’ « idiotie » du réel [=absolue singularité, sans double]) alors que toute quête suppose qu’il y ait autre chose que le réel qui est donné mais cette autre chose ne peut qu’être inventée.

En résumé, que la quête existe ne garantit pas l’existence de son objet et même la « logique » de la quête deviendrait compréhensible de ce qu’elle en est dépourvue. Voilà pour le rapport de la quête à son objet. Mais si la quête peut être dépourvue d’objet, est-elle pour autant insensée ? Elle n’échapperait à l’absurde que si la fin de la quête pouvait être autre que son objet. Or on connaît le vieil adage disant que le chemin importe plus que le but. Venons-en donc à la question du chemin.


2-Deuxième question : une méthode pour la quête ? C’est la question du chemin, de la méthode. Une quête, c’est toujours s’embarquer dans la recherche de quelque chose. Mais quel chemin suivre ? Peut-on s’embarquer avec une idée du chemin qu’on va suivre ? Où chercher ? Comment chercher ?  Bref, existe-t-il une méthode pour chercher, une « méthode heuristique » ? L’idée d’une méthode pour chercher, pour découvrir, inventer, créer, innover serait tout simplement en elle-même contradictoire car précisément si on utilise une méthode, un chemin balisé, c’est qu’on n’a plus besoin de chercher. C’est un leitmotiv, de Platon à Michel Serres pour prendre deux exemples aux extrémités de l’histoire de la Philosophie : Socrate, dans le dialogue platonicien Le Ménon, propose de « chercher en commun [avec Ménon] ce que peut bien être la vertu: Ménon : -Et comment chercheras-tu, Socrate, ce dont tu ne sais absolument pas ce que c’est ? Laquelle, en effet, parmi ces choses que tu ignores, donneras-tu pour objet à ta recherche ? Mettons au mieux : tomberais-tu dessus, comment saurais-tu que c’est ce que tu ne savais pas et que tu cherchais à apprendre ? [Ce que Socrate résume ainsi:] -Soit disant, il est impossible à un homme de chercher, ni ce qu’il sait ni ce qu’il ne sait pas ? Ni d’une part ce qu’il sait, il ne le chercherait en effet, car il le sait, et, en pareil cas, il n’a pas du tout besoin de le chercher ; ni, d’autre part, ce qu’il ne sait pas car il ne sait pas davantage ce qu’il devra chercher » (Platon, Ménon, 80 d-e). De fait toute recherche est impossible ou, du moins, est paradoxale comme tout apprentissage : c’est en forgeant qu’on devient forgeron, mais comment forger si on n’est pas déjà forgeron ? Comment apprendre quelque chose sinon en le faisant mais si on le fait c’est qu’on sait déjà le faire... La recherche, tout comme l’apprentissage, ne pourraient pas s’inaugurer, ne pourraient même pas commencer. Leur simple possibilité pour Platon est incompréhensible. Et pourtant il y a bien des forgerons… ( Par parenthèse, suit alors, dans le même ouvrage, la solution au problème : la thèse de la « réminiscence » (une mémoire sans souvenir) : si on peut chercher quelque chose et le trouver et alors le reconnaître, c’est qu’on l’a déjà connu. Toute connaissance est une reconnaissance. Tout apprentissage est une remémoration, une réminiscence. Et c’est précisément parce qu’on l’a déjà connu et oublié qu’on le cherche sinon on ne songerait même pas à le chercher. Ce que dira aussi Pascal, donnant la parole à Dieu : « Tu ne Me chercherais pas si tu ne M’avais déjà trouvé ». On ne chercherait que ce qu’on a connu et oublié, oublié même qu’on l’a connu et oublié qu’on l’a oublié et qui pourtant a laissé ses traces en notre mémoire sans que nous puissions les raccrocher à aucun souvenir, que Platon appelle réminiscence. Les solutions de Platon et Pascal sont belles mais très coûteuses métaphysiquement : on essaiera de trouver plus économique.) A l’autre bout de l’histoire de la Philosophie, Michel Serres : « Je ne connais aucune méthode qui ait jamais ouvert à quelque invention ; ni aucune invention trouvée par méthode » (Le gaucher boiteux, 2015). Donc pas de méthode. Il ne reste qu’à partir en « exode ». Deux termes formés sur le même suffixe grec : hodos qui signifie route, chemin. L’exode est au propre en dehors de la route (comme cheminement connu),c’est autre chose que d’emprunter le chemin quotidien du travail ou de la maison, au propre les « routines », c’est partir sans savoir où on va ; on sait ce qu’on quitte, on ne sait pas ce qu’on va trouver. On est en fuite sans destination assurée Et pourtant on peut philosopher comme ça, partir comme ça en quête de la vérité et de la sagesse. Montaigne : « Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent pourquoi je fais des voyages que je sais bien ce que je fuis, non ce que je cherche » (Essais). Les voyages de Montaigne sont des exodes. Montaigne, par excellence, intéresse notre thème : dans ses Essais, il s’agit de parler de lui-même : « c’est moi que je peins ». Il n’expose donc pas le résultat de sa quête philosophique après coup, mais il la décrit. Plus, il se décrit en train de chercher. Les Essais sont une quête en train de se faire par l’écriture même des Essais et pour cela ils sont authentiquement des essais : il dit à peu près qu’il propose les idées, les pensées qui lui viennent et qu’il essaie de voir ce qu’elles donnent quand on les développe, les confronte, les applique, de savoir où elles nous mènent, en quoi elles nous transforment, sans bien sûr le savoir d’avance. Sa « méthode » alors pour écrire les Essais ? C’est simple : sa méthode, c’est son refus de toute méthode. Sa méthode : se fier à l’aléa, s’ouvrir à toute rencontre possible  et laisser s’effectuer les connexions: « Là je feuillette tantôt un livre, tantôt un autre, sans ordre et sans dessein, en prenant des passages sans liens entre eux ; tantôt je rêve, tantôt je note et je dicte, en me promenant, mes rêveries que je vous livre dans ces essais ». (Essais, chap. « Sur trois sortes de relations sociales »). Et effectivement, quand on lit les Essais, on a souvent du mal à voir le rapport entre le titre et le contenu ou à repérer l’unité thématique des chapitres. On est alors un peu rassuré sur nos propres compétences de lecteur en rencontrant cet aveu : « Mon style et mon esprit vagabondent l’un comme l’autre (...)Je procède par sauts et gambades ». Et pourtant, par ces errances, à chaque page, des découvertes géniales.

Ce que Montaigne pratique a un nom aujourd’hui : la sérendipité (terme inventé par un certain Walpole, anglais, en 1754, qui deviendra un terme technique de philosophie des Sciences au XXième siècle et aujourd’hui un terme décrivant certaines modalités de la recherche sur internet). Voilà la définition initiale : « découvrir par hasard et sagacité des choses qu’on ne cherchait pas .» L’exemple type, c’est l’invention accidentelle de la tarte Tatin par les sœurs du même nom, Stéphanie et Caroline. Elles ont inventé la tarte Tatin sans suivre, évidemment, la recette de la tarte Tatin, mais par accident, par hasard ou plutôt par hasard récupéré. De nombreux autres exemples de sérendipité, les découvertes de : la pénicilline, les endives, le velcro, l’insuline, le viagra, le micro-ondes, les rayons X… Toutes choses découvertes par hasard ou plutôt au cours de recherches où on cherchait autre chose. C’est un processus qui peut par ailleurs être exploité : la disposition des rayons dans les grandes surfaces qui permet au client de repartir avec plus de choses qu’il n’en venait chercher, découvrir qu’il désirait autre chose qu’une botte de poireaux. On attribue au génial Boucicaut (créateur du Bon Marché), modèle de l’Octave Mouret de Zola dans Au bonheur des dames, l’application de la sérendipité au marketing et par là peut-être de l’avoir inventé. Mais les définitions du terme, la plupart du temps, ne retiennent que la notion de hasard : découvrir par hasard autre chose que ce qu’on cherchait. Il faut maintenir la définition initiales : « hasard et sagacité (faire preuve de sagacité c’est être clairvoyant, fin, perspicace, capable de percevoir des relations, des rapports inédits, des analogies...) » car de fait, dans tous les exemples cités, ceux qui, par hasard, ont découvert la pénicilline, les rayons X… étaient des chercheurs, à l’esprit, en droit, en éveil, à l’affût, disponible, ouvert, bref, censément dotés de certaines qualités d’esprit car, certainement, « la chance ne sourit qu’aux esprits préparés » (Pasteur). Les sœurs Tatin elles-mêmes étaient des cuisinières, dans leur hôtel-restaurant de La Motte-Beuvron, d’un certain renom. Michel Serres précise la définition : « cheminement sans ordre, inverse de ce qu’on appelle méthode, cette chasse quasi au hasard qui fait que l’on rencontre ce qu’on ne quête pas, entraîné cependant par le feu passionnel et le travail patient de la recherche »(Le gaucher boiteux). Pour découvrir il faut être en quête passionnément et, pourtant, sans être obnubilé par l’objet de sa recherche au point de manquer les heureuses rencontres du hasard. Trouver ne relève donc pas du seul hasard. Il y faut la passion et la patience de la recherche qu’on peut alors appeler « quête » à en croire Littré (voir plus haut). Passion et patience, ce sont des qualités de comportement, d’attitude, d’être, de celui qui cherche, qui part en quête. Ce sont aussi elles qui permettent de comprendre qu’on puisse réussir à ne pas passer à côté de ce qu’on trouve sans l’avoir cherché. « Art d’interpréter les signes et les traces, art d’attribuer des significations » rajoutent certaines définitions du mot sérendipité et on voit ce qu’elles partagent avec celle de sagacité. Stéphanie (ou Caroline) aurait pu conclure de son erreur (elle avait oublié de mettre la pâte sous les fruits, (pourquoi elle l’a mise par dessus) que la tarte était ratée et la donner aux poules. Elle a interprété autrement son erreur. Elle l’a sublimée. En tous les cas, et autrement dit, il n’y a pas de méthode de recherche, pas de chemin pré-tracé de la quête. Mais il y a une "manière d’être" de celui qui cherche, un « esprit de quête » qu’il nous faudra définir. (On peut, par parenthèse, indiquer ce que la notion de sérendipité permet de préciser dans la réponse à la première question, sur l’objet de la quête et leur rapport : On trouve en effet autre chose que ce qu’on cherche et cet "autre chose" nous apparaît comme plus intéressant, important, que ce qu’on cherchait. Ou, plus encore, cette autre chose que l’on trouve se révèle être ce qu’on cherchait véritablement sans le savoir, obnubilée qu’on était par l’objet initial de la quête. C’est peut-être la logique de la conversion, celle de Saint Paul ou de Saint-François d’Assise, de Saint-Augustin. La littérature de la conversion joue toujours sur ce mélange de recherche fiévreuse et de rencontre aléatoire. Saint Augustin raconte sa conversion à la fin du chapitre VIII de ses Confessions qui en compte XIII. La conversion est censée être provoquée par la lecture d’un passage de l’Évangile ouvert au hasard sur l’injonction d’une voix d’enfant mystérieuse. Il s’agit de Romains, 13, 13 : « Non, pas de ripailles et de saouleries ; non pas de coucheries et d’impudicités ; non pas de disputes et de jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ ».

Mais c’est au bout d’une recherche spirituelle qui se raconte sur les deux premiers tiers de l’ouvrage où il rappelle les diverses sagesses auxquelles il s’est essayé. « Augustin ne cache pas que la décision de la « conversion » est due moins au hasard d’un cri entendu ou d’un verset lu, qu’aux longs débats intérieurs qui l’ont précédée » (P. Courcelles).

Il y a bien une tradition de la conversion qui s’initie par une lecture au hasard : Augustin évoque juste avant la sienne celle de Saint Antoine qui « venait d’entendre ce passage des Évangiles où il est écrit : »Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donnes-en le produit aux pauvres ; viens, suis-moi, un trésor t’attend au ciel »(Matt. 19, 21).

Pétrarque évoque celle d’Augustin et d’Antoine et raconte la sienne qui se fait aussi en ouvrant, au hasard, non plus les Évangiles, mais les Confessions d’Augustin : « les hommes ne se lassent pas d’admirer la cime des montagnes, l’ample mouvement du flot marin, le large cour des fleuves, l’océan qui les entoure, la course des astres ; mais ils oublient de s’examiner eux-mêmes » (Pétrarque, L’ascension du Mont Ventoux).

Hasard donc toujours mais qui toujours rencontre des « esprits préparés ».

Se substituent donc à l’impossible méthode, des "manières d’être" du sujet parti en quête qu’il s’agit maintenant de préciser. Montaigne encore peut nous aider. En particulier Essais, L.I, 27 , titré :« C’est folie de rapporter le vray et le faux à notre suffisance ». Il y dénonce la crédulité qui relève de « simplesse et d’ignorance » mais il dénonce tout autant l’attitude inverse qui consiste à « condamner pour faux ce qui nous semble peu vraisemblable », parce que c’est pure présomption « que de condamner ainsi résolument une chose pour fausse et impossible, c’est se donner l’avantage [=prétendre] d’avoir dans la tête les bornes et les limites de la volonté de Dieu, et de la puissance de notre mère nature ». Or d’où vient notre notion du vraisemblable ? Non pas d’un savoir de ce qui est possible selon les lois de la nature, non pas un savoir vrai de « l’ordre du cours de la nature » mais tout simplement de l’habitude, de l’accoutumance de côtoyer les choses : est possible, vraisemblable, ce qui peut entrer dans nos habitudes de percevoir et de concevoir, dans nos perceptions et conceptions habituelles ; est impossible, invraisemblable, ce qui ne peut y être assimilé. Ce qu’il démontre par la présence du phénomène inverse :« C’est plutôt accoutumance que science qui nous oste l’étrangeté », idée qu’on trouve déjà chez Lucrèce : »Mais il n’y a pas d’opinion si aisée qui n’apparaisse comme incroyable au premier abord, il n’y a pas non plus de merveille qui ne cesse avec le temps de surprendre. » (De la nature des choses, II, 1037). Autrement dit, une idée, un fait, même simples peuvent, du fait de leur nouveauté pour nous, nous paraître incroyables. Mais ce n’est pas dû à quelque intuition de l’ordre de la nature car, inversement, une « merveille » (une chose merveilleuse et inexplicable), par l’effet de l’accoutumance aussi, cesse de nous surprendre : « Aujourd’hui que, lassés d’une vision constamment offerte, nous ne daignons plus lever les yeux sur ces lumineux espaces célestes » (idem). L’immense et insondable énigme de l’univers qui nous entoure et qui nous apparaît dans le ciel étoilé, du fait de l’avoir toujours sous les yeux, n’attire même plus notre regard. C’est bien le même principe, « l’accoutumance », qui provoque, d’une part, le rejet dans l’inconcevable de l’inédit et, d’autre part, le désenchantement du merveilleux. Rien d'étonnant que nous qualifiions d'étrange ce qui nous étonne, ce qui nous étonne n'est que ce qui nous est étranger, inhabituel et, inversement, ce qui nous est habituel, familier, quelque merveilleux qu'il soit, ne nous étonne aucunement, perd son étrangeté Aucune chance alors, pour Montaigne, de trouver, de découvrir quoi que ce soit si on ne perçoit plus les merveilles qui nous entourent et si toute nouveauté provoque un phénomène de rejet. Avec un esprit ainsi enfermé dans ses accoutumances, toute quête est d’emblée vaine et peut-être avortée. Alors que faire ? « La nouveauté des choses nous incite plus que leur grandeur à en rechercher les causes » (Essais, idem). C’est le sentiment de nouveauté qui provoque la quête, la recherche. Il ne faut pas être blasé. La quête, la recherche suppose de regarder les choses « de nouveau » : « ces choses là [les cieux mais tout autant une fleur qui pousse] si elles nous étaient présentées de nouveau, nous les trouverions autant ou plus incroyables qu’aucunes autres » (Essais, idem). Bien préciser ce que veut dire ici « de nouveau » chez Montagne car on emploie aujourd’hui l’expression « il a fait ceci ou cela de nouveau » pour dire que c’est pour la deuxième ou la troisième fois, c’est-à-dire que ça n’a précisément plus rien de nouveau. Chez Montaigne, dans ce texte, « de nouveau » a son sens véritable : « comme si c’était nouveau, comme si c’était la première fois ». Les conditions de la recherche, c’est ce travail sur soi, cette capacité de s’ouvrir l’esprit, de voir l’habituel lui-même, le quotidien, aussi, comme « de nouveau ». Retrouver la naïveté, la capacité de s’étonner, par quoi, selon Aristote, commence la Philosophie. Mais non pas s’étonner seulement du surprenant, de l’inhabituel mais au contraire de l’habituel, de l’usité, du quotidien, devant le simple vol d’une mouche. Le philosophe, censément, ne s’étonne pas seulement devant les grandes énigmes de l’univers mais aussi et, peut-être, surtout, devant ce qu’il y a de plus habituel et d’abord, par exemple, que les choses soient, tout simplement, « qu’il y ait quelque chose et non pas plutôt rien » (Leibniz). Lutter donc contre les effets de l’accoutumance qui, dès la perception, éteint l’étonnement et ferme tout esprit de recherche car « c’est par l’habitude des yeux que les esprits s’habituent, ils ne s’étonnent pas des choses qu’ils voient toujours ni ne cherchent les raisons »(Essais). On ne s’étonne pas de voir tomber une pomme, on n’en cherche pas la raison, pas plus qu’on ne s’étonne de ce que, au contraire, la lune ne tombe pas. Newton, si : il regarde tomber les pommes « de nouveau » et alors se demande pourquoi. Question qui ne se pose même pas pour la plupart des esprits enfermés dans leurs accoutumances. Par où on voit aussi le caractère fondamental du questionnement, de la capacité à poser des questions : se demander pourquoi les pommes tombent ça relève déjà du génie. L’accoutumance, on le voit interdit la recherche dans deux sens : -Elle nous ferme au nouveau : elle fait de l’étrange, de l’étranger qu’on rejette comme invraisemblable et impossible. -Elle nous masque le merveilleux qui est sous nos yeux qu’on ignore alors comme habituel. L’accoutumance nous empêche de recevoir l’étranger, le nouveau ; nous empêche de percevoir l’étrangeté du réel lui-même, elle banalise les merveilles. Les conditions de la recherche, c’est donc du travail sur soi par quoi on contrarie nos habitudes mentales, on sort des « routines », lexique encore du chemin, que sont « ces petites routes qu’on emprunte pour aller toujours au même endroit » (Le Robert), ces sentiers battus, comme les « méthodes » sont « les procédés habituels d’un esprit ou d’un groupe d’esprits » (Vocabulaire philosophique, Lalande). On pourrait tirer de cela une petite théorie de l’esprit critique, notion qu’on peut entendre en deux sens opposés : -Un esprit critique négatif, centrifuge, qui consiste à dénigrer, démonter, dévaluer tout ce qui se situe en dehors de notre système de représentation. C’est une attitude spontanée et ordinaire qui consiste à préserver notre équilibre psychique, notre système de représentations, des intrusions déstabilisantes : processus homéostatique. -A l’opposé un esprit critique positif, centripète, qui consiste au contraire à réinterroger nos représentations, à les « remettre en question », quand on se trouve face à des événements, des faits, des informations qui nous bousculent et nous perturbent. Attitude non spontanée qui réclame l’effort de mettre son esprit en insécurité et qui, pour certains, est l’acte même du savoir au sens fort, celui qui motive la quête.

On pourrait évoquer, dans le même champ d’idées, les « exercices spirituels » des mystiques qui sont du travail sur soi permettant de s’ouvrir à des rencontres, à des présences ou à La rencontre, à La présence pour ceux qui y croient. Pour Pascal, il y a recherche de Dieu car le Dieu de Pascal est un Dieu qui se cache et qui se révèle. Pour qu’il y ait « acte de foi » (que la foi ne soit pas une simple crédulité spontanée mais engagement d’une conscience), « il ne faut pas qu’il [l’homme] ne voie rien du tout, il ne faut pas aussi qu’il en voie assez pour croire qu’il le possède, mais qu’il en voie assez pour connaître qu’il l’a perdu, il faut voir et ne voir pas ; et c’est précisément l’état où est la nature » (Pensées, L.449). Dans quoi on peut lire tout autant la logique de l’érotisme, que ce soit dans son sens platonicien de moteur de la recherche de la vérité ou dans son sens le plus ordinaire. Dieu caché et révélé, logique du « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé », ce sont les traces et les indices, à décrypter par la sagacité, requise comme on l’a vu, et qui comme on le sait signifient à la fois l’existence et marquent l’absence. Quelque chose existe et qui est absent, c’est ce que dit toute trace, toute marque, voilà le motif de la quête. Mais le Dieu de Pascal ne joue pas à cache-cache, on ne le trouve pas par hasard. Le chercher, c’est se transformer soi-même et c’est cette transformation qui importe : « Dieu a établi des marques sensibles dans l’église pour se faire reconnaître à ceux qui le cherchent sincèrement, et qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le recherchent de tout leur cœur. » (idem) Ce sont d’autres conditions que celles de l’ouverture selon Montaigne mais elles réclament encore des transformations des sujets, des qualités subjectives de recherche : morales et spirituelles chez Pascal ; ici, sincérité et amour qui sont des réformes morales et valent comme telles comme le montre Pascal par ailleurs : on a toujours intérêt à parier pour Dieu parce que les transformations qu’on opère en nous-mêmes du fait de vivre dans la foi sont par elles-mêmes un gain. On peut rencontrer encore des transpositions de la même idée en redescendant lentement sur terre : -L’amitié chez les stoïciens, nécessaire à la quête du sage car risquer l’amitié, c’est risquer un chemin avec quelqu’un qui par son altérité généreuse nous transforme. L’amitié, c’est cette affectivité qui me permet d’accepter l’altérité et donc de m’engager dans ma propre altération (terme qui, pour le coup, ici, prend un sens éminemment positif de transformation de soi). L’amitié, moyen « psychagogique ». Lire de Sénèque Lettres à Lucilius, (Livre I, lettre 9) et bien sûr dans les Essais de Montaigne l’analyse de l’amitié stoïcienne entretenue avec La Boétie (Livre I, chap 28 ou 27). -Les conditions de la recherche intellectuelle : la synergie pour laquelle plaide Michel Serres entre les humanités, les arts et les sciences : ouverture, transdisciplinarité, synergie des esprits littéraires et scientifiques. Ce sont encore des systèmes d’ouverture, de transgression des méthodes. Voir Le tiers instruit. Etc.

Voilà pour ce second point : Pas de méthode préexistante à suivre mais un nécessaire travail sur soi du sujet en quête et qui, peut-être, constituerait le sens de la quête.


Troisième partie et conclusion : -Si la quête peut être sans objet ou celle d’un objet inaccessible sans cesser pour autant d’être sensée (1ère partie), -si malgré l’absence de méthode, de chemin pour chercher, il n’est pas insensé de s’embarquer dans la recherche (2ème partie), c’est que l’objet véritable de la quête (l’objet au sens de son objectif, de sa finalité) n’est pas quelque chose qui préexisterait au sujet qui la cherche et qu’il n’aurait qu’à découvrir, mais que cet objet véritable c’est le sujet lui-même, c’est la culture du sujet, sa propre construction, son accomplissement. C’est ce que suggère la seconde partie : s’il n’y a pas de méthode mais seulement des conditions subjectives, c’est-à-dire des manières d’être, d’exister et de penser, un « travail sur soi » de la part de celui qui cherche, chercher c’est donc bien se modifier soi-même et rajoutons maintenant, dans cette troisième partie, que cette transformation de soi est le sens même de la quête. C’est semble-t-il ce que disent toutes les quêtes spirituelles qu’elles soient de religion ou de sagesse (religieuses ou philosophiques) : Penser au simple pèlerinage. Son sens n’est pas réduit à son but sinon on irait à Saint-Jacques de Compostelle en TGV. Il n’est pas non plus dans le chemin déjà balisé. Mais c’est le cheminement, c’est la marche, c’est en quoi la marche transforme le pèlerin. Ce qui importe c’est que celui qui arrive soit autre que celui qu’il était au départ. La fameuse quête du Graal dont les interprétations sont multiples mais relèvent toujours de la même thématique : il ne s’agit pas seulement de retrouver un récipient (simple fétichisme) mais bien de chercher le salut et de montrer que c’est la quête elle-même qui est salvatrice, que c’est un cheminement qui est par lui-même salvateur, qui transmute la nature pécheresse humaine. Les quêtes spirituelles sont en fait des exercices spirituels, donc des constructions de soi par soi, par quoi on se rend digne, on se met en capacité, de recevoir la présence que l’on cherche et qu’on ne trouve pas ailleurs qu’en soi, et consistant même dans le soi que la quête a permis de construire. Toutes les philosophies antiques, quêtes à la fois de la vérité et du bonheur, sont quêtes donc de la sagesse qui en est la synthèse. Mais la sagesse n’est pas un objet extérieur à lui que le sage découvrirait. Chercher la sagesse et devenir sage, vivre en sage, c’est la même chose, devenir soi-même, c’est-à-dire vivre l’identité de la vie et de la pensée, vivre comme on pense et penser comme on vit. C’est ce qui était suggéré dans la plupart des références déjà rencontrées : Chez Abraham Maslow, la motivation supérieure est la quête du bonheur, du sens qui se traduit par l’accomplissement de soi ... Chez Montaigne, on l’a vu, la quête, peut-on dire, est l’essence de l’homme « car nous sommes nés à [pour] quester la vérité ; il appartient à la posséder à plus grande puissance ». Primo Lévi dira dans le même sens : « la recherche est le fatum de l’humanité ». Mais c’est ce qui donne sens, c’est ce qui fonde notre responsabilité morale, notre construction morale, « l’agitation et la chasse est proprement notre gibier [= ce qu’on cherche vraiment], nous ne sommes pas excusables de la conduire mal et impertinemment : de faillir à la prise c’est autre chose » (Essais, chap. De l’art de conférer). Autrement dit, nous n’avons pas dans la quête d’obligation de résultat parce que ça ne dépend pas de nous (stoïcisme), et c’est dire, autrement, que l’objet importe peu ; mais obligation de moyen : nous sommes responsables de la quête, de la manière de la mener, c’est-à-dire de conduire notre vie. Nous sommes responsables donc de ce que nous sommes, de ce que nous avons fait de nous-mêmes. Pour l’humanisme qu’inaugure Pic de la Mirandole, ce qui fait la dignité de l’homme, c’est précisément d’avoir à devenir ce qu’il a lui-même choisi d’être, de se concevoir et de se réaliser, d’accomplir l’humanité en lui, d’être l’auteur de lui-même.

C’est que, finalement, le travail de transformation de soi est identique à son objet. « Deviens ce que tu es » répète Nietzsche. La quête de l’identité c’est la construction de l’identité : Les grands textes de la quête de soi : Marc Aurèle (Pensées pour moi-même), Saint Augustin ( Les Confessions) Montaigne (Les Essais, « car c’est moi que je peins »), Rousseau (Les confessions)… si ce sont de grands livres, ce n’est pas parce que ce sont de beaux livres de souvenirs, des mémoires, mais des œuvres par lesquelles Marc Aurèle est devenu Marc Aurèle en participant à l’élaboration du stoïcisme, Saint-Augustin est devenu Saint-Augustin et fondant l’augustinisme, Montaigne est devenu Montaigne...

Fin de quête : Ulysse, en fin d'Odyssée rentre chez lui. Au bout de la Divine Comédie, au sommet du paradis, l'homme rencontre son visage (humanisme). Quelle que soit la quête, retour à soi, tout autre. Accompli, "tel qu'en soi-même " ?