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La modestie.

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La modestie. ✒️📰
Thème

Introduction[modifier]

La modestie.

« La modestie est une espèce de l’ambition (1) » selon Spinoza, (Éthique,  III, XLVIII, Explication, Pl.484) : « ceux que l’on croit les plus effacés et les plus humbles sont généralement les plus ambitieux et les plus envieux » (Eth. III, 29, Pl.480).

La modestie ne serait donc pas si modeste qu’elle paraît. C’est une attitude qui consiste à laisser accroire qu’on vaut beaucoup mieux que ce qu’on laisse paraître. Orgueil (2) masqué. Et beaucoup mieux que ce qu'on peut penser de nous : "c'est offenser quelque fois les hommes que de leur donner des louanges, parce qu'elles marquent les bornes de leurs mérites, peu de gens sont assez modestes pour souffrir sans peine qu'on les apprécie." (Vauvenargues, Maximes). Ce n'est donc peut-être pas modestie que ces dénégations de ces qualités qu'on nous attribue car l'estime qu'on nous donne est rarement au niveau de celle qu'on attend tant "il est difficile d'estimer quelqu'un comme il veut l'être" (Vauvenargues, Maximes).

Mais n’est-ce pas le comble de la modestie que de la dévaloriser ainsi afin que ce ne soit pas vantardise que de s’en prévaloir ? Le modeste véritable, s'il en est (c'est-à-dire si la modestie n'est pas essentiellement hypocrisie comme le pense Barbey d'Aurevilly, voir plus bas) ne peut accepter d’être dit modeste que si, pour lui, la modestie n’est pas une qualité dont on puisse se prévaloir, si la modestie est l'expression d'une authentique médiocrité ; médiocrité qui consiste à n'être capable d'aucune autre vertu que la modestie...

La véritable modestie, sans ambiguïté, supposerait la puissance, assurée d'elle-même. Puissance qui n’a pas besoin de se manifester ni donc d'être reconnue. Serres, parlant de Dieu : « plus il est puissant (…) moins il se manifeste ». Deus absconditus. Modèle infini de la modestie. La puissance du Prince, elle, a besoin de s'exhiber, c'est-à-dire de paraître plus grande qu'elle n'est.

(1)   L’ambition est, pour Spinoza, «  cet effort (conatus) pour faire quelque chose -et aussi pour y renoncer- pour la seule raison de plaire aux hommes » (Éthique III, Prop. 29, scolie. Pl.439).

(2)   « L’orgueil est la joie qui naît de ce que l’homme a de soi une meilleure opinion qu’il n’est juste ». (Idem. IV, Prop.42, Pl.537). A l’orgueil s’oppose la dépréciation de soi (III, 29. Pl. 479).

Heureuse rencontre en parcourant Le Monde... Schopenhauer y évoque le grand poète qui ne peut survivre en attendant la reconnaissance du monde, (reconnaissance qui ne peut être immédiate car il voit ce que nul autre ne peut encore voir) qu'en "se nourrissant de sa propre approbation" (Le monde comme volonté et représentation, p. 1162 aux P.U.F.) et ne peut donc manifester aucune modestie (ce qui était le cas de Schopenhauer lui-même : l'immodestie de Schopenhauer relève de la foi, elle persiste et s'augmente de ses insuccès : pendant plus de trente ans, professeur sans élèves (habilité à l'Université de Berlin en 1819 comme privat-docent, il n'attire en tout que neuf auditeurs si bien qu'il renonce dès le mois d'août 1820), écrivain sans lecteurs, il reste un isolé, doublement aigri, dans un pessimisme naturel, par ses déboires persistants et par l'arrogante conviction de son immense supériorité sur quiconque (la foi : les faits ne sauraient démentir la vérité de son génie). Et il eut raison d'espérer en dépit de tous ces démentis de l'expérience : à l'arrivée foudroyants succès à partir de 1851! Le philosophe le plus pessimiste sur le monde était, relativement à lui-même, et à juste raison, singulièrement optimiste. D'où cette logique (autobiographique !), donc : les grands esprits ne peuvent ignorer qu'ils en sont ; mais certains petits esprits le croient tout autant... Les petits esprits conscients d'être tels et l'affirmant en seraient effectivement car "qu'on puisse être un grand esprit sans le soupçonner est une absurdité que l'incapacité seule a pu se persuader à défaut de meilleure consolation, afin de prendre pour de la modestie le sentiment de sa nullité propre" (idem). Autrement dit, c'est la marque des esprits médiocres que de penser que les grands esprits se devraient d'être modestes. C'est dire que la modestie qui, en droit, devrait, si elle était possible, accompagner la grandeur (3) (à accompagner la médiocrité elle n'est que lucidité), n'existe pas pour Schopenhauer : ce qui apparaît comme modestie n'est que lucidité sur sa propre médiocrité : "je suspecte toujours les célébrités modestes d'avoir de bonnes raisons pour l'être" ( Le monde...p. 1163). Dans un esprit très schopenhauerien, Jules Barbey d'Aurevilly : "La modestie et moi n'avons jamais passé par la même porte : elle est trop petite ou je suis trop grand ; j'ignore cette hypocrisie là comme beaucoup d'autres dont est pourrie l'âme humaine, et je me déclare hautement orgueilleux, l'orgueil étant la force et l'aliment incessant de ma vie. On est humble que lorsque on a des raisons pour l'être". Cette dernière phrase, c'est du Schopenhauer Mais l'orgueil ne consiste-t-il pas à avoir de bonnes raisons d'être humble et refuser de l'être ? Spinoza définit l'orgueil une estimation de soi plus grande qu'il n'est juste. La modestie est certainement, la plupart du temps, une fausse vertu et on peut y trouver de l'hypocrisie, mais l'orgueil ne constitue certainement pas une preuve de lucidité sur sa propre valeur.

Serait vertueuse la capacité à s'estimer et à s'exprimer à sa juste valeur. La modestie vertueuse, s'il en est, serait la lucidité de sa médiocrité. Mais il y a bien hypocrisie dans la modestie car le modeste a une estime de soi supérieure à celle qu'il laisse paraître et espère, sa modestie reconnue (c'est-à-dire comme quelqu'un qui ne veut pas se prévaloir de toute sa valeur, puissance qui dédaigne ses manifestations), que l'on pensera de lui qu'il vaut plus que ce qu'il laisse paraître, plus peut-être même qu'il ne s'estime véritablement, ce qui rejoint très exactement l'orgueil...Si la modestie consiste à faire accroire qu'on vaut plus que ce qu'on laisse paraître, l'orgueil consiste à faire accroire qu'on vaut plus que ce qu'on est. La frontière entre modestie et orgueil est des plus minces comme le suggère Spinoza au début de cet article et encore ici : "celui qui se déprécie soi-même est (...) très proche de l'orgueilleux" (Éthique. IV, Chap. XXII, Pl. 558) et il renvoie au scolie de la proposition LVII, (Pl. 537) où il en donne la démonstration : l'orgueilleux est nécessairement envieux "de ceux qu'on loue pour leurs vertus" et se réjouit des vices des autres en ce que ça le conforte dans l'idée qu'il se fait de sa supériorité. La tristesse de celui qui se deprécie provient "de ce qu'il juge de son impuissance par la puissance ou la vertu des autres, sa tristesse lui sera donc plus légère, c'est-à-dire qu'il se réjouira, si son imagination s'applique à considérer les vices des autres". En quoi il est semblable à son contraire l'orgueilleux.

L'homme de valeur, dit Barbey d'Aurevilly, affirme sincèrement ce qu'il est, et ce qu'il est est identique pour lui à ce qu'il croit être, à travers son orgueil. L'orgueil n'est pas hypocrisie. Le médiocre affirme, en espérant le cacher, ce qu'il est à travers sa modestie. L'orgueil révèle le grand homme chez Schopenhauer comme chez Barbey d'Aurevilly, comme la modestie révèle l'homme médiocre. Le médiocre n'a pas d'autre moyen que la modestie pour pouvoir paraître plus que ce qu'il est, pour espérer ne pas laisser paraître sa médiocrité : il l'affirme pour la cacher, en cela il y a hypocrisie, ce "vice qui consiste à affecter (...) un noble sentiment qu'on n'a pas (...) qu'on n'éprouve pas " (Littré). La modestie est la manifestation cachée de la médiocrité.

Si la modestie n'existe pas, l'immodestie, par contre, existe bel et bien (les petits esprits inconscients de l'être). On en revient donc à ceci que s'afficher comme modeste (la véritable modestie si elle existait ne s'afficherait pas, le modeste sans hypocrisie laisserait paraître de soi exactement ce qu'il pense être sans espérer que les autres y verraient une sous-estimation de soi) c'est tenter de faire accroire qu'on vaut, en vérité, plus que ce qu'on laisse paraître, c'est-à-dire qu'il s'agit de cacher sa propre médiocrité aux yeux d'autrui ; la modestie est une manière de cacher sa médiocrité, mais, au regard d'un Schopenhauer ou d'un Barbey d'Aurevilly, on la révèle par là-même... Mais l'orgueil n'est-ce pas réussir à la cacher à ses propres yeux, et non pas seulement aux yeux d'autrui, si l'orgueilleux est bien, comme le pense Spinoza, celui qui a une estime de soi plus grande qu'il n'est juste ?

La modestie peut-elle être alors une vertu ? Aller voir bien sûr Jankélévitch. Mais pour faire court voici ce que dit Lichtenberg (Mélanges) : "la modestie devrait être la vertu de ceux à qui les autres manquent." Le modeste serait vertueux s'il n'était doué d'aucune autre vertu ; auquel cas sa modestie n'aurait aucun autre objet que de ne pas se prévaloir de sa modestie...

La modestie vertueuse pourrait consister à refuser de fournir à l'autre un motif d'envie.

(3) "La modestie va bien aux grands hommes. C'est de n'être rien et rester modeste qui est difficile." Jules Renard, Journal.