Matrimoine culturel
Le matrimoine est l'héritage culturel légué par les générations de femmes précédentes et souvent oublié ou très rarement reconnu par les institutions officielles au cours des époques. Le matrimoine et le patrimoine constituent ensemble l'héritage commun historique, culturel et artistique. Ils relèvent du bien public et du bien commun.
Notion contestée en France[1], le matrimoine culturel comme héritage propre à la production artistique et culturel des femmes n'est pas officiellement reconnu par la loi française. Cette définition soulève des questionnements autour de la reconnaissance du rayonnement culturel des femmes françaises[2] par le passé.
Genèse de la notion de matrimoine[modifier]
Étymologie[modifier]
Etymologiquement, matrimoine est un dérivé du latin mater "la mère" . Dès le IVe siècle avant notre ère, dans La République Platon utilise le terme μήτρις (métris, qui signifie la matrie, en opposition à la patrie) : "Et alors, il peut arriver que la cité se soumette volontairement; mais si elle résiste, de même qu'il maltraitait naguère son père et sa mère, il châtiera sa patrie, s'il en a le pouvoir, il y introduira de nouveaux compagnons, et, leur asservissant celle qui lui fût autrefois chère, sa matrie, comme disent les Crétois, et sa patrie, il la nourrira dans l'esclavage."[3] (La République, 575d).
Matrimoine est emprunté au latin impérial matrimonium "mariage" et au pluriel matrimonia "les femmes mariées" et a donné l'ancien français matremuine (1155), matremoine (1356), matremoigne (1380) puis matrimoine en 1408. Ce dérivé de mater (la mère) sur le modèle de patrimonium (dérivé de pater "le père") désigne "l'ensemble des biens, des droits hérités de la mère" en opposition à ceux du père[4].
Certaines autrices préfèrent dire pour le patrimoine « l’ensemble des biens issus de la lignée des hommes » et pour le matrimoine, « l’ensemble des biens issus de la lignée des femmes » car au sens large, il s’agit d’une filiation symbolique, sans lien avec la filiation biologique[5].
Historique[modifier]
D’après Le Robert historique de la langue française, le mot apparaît dès 1155 en ancien français sous la forme de matremuine, puis matremoigne[6]. On retrouve le terme en 1160, dans un manuscrit du poète anglo-normand Wace[7]. Au Moyen Âge, quand un couple se mariait, il déclarait son patrimoine (les biens hérités du père) et son matrimoine (les biens hérités de la mère). Au XIIe siècle, le mot « patrimoine » l'emporte sur le mot « matremoigne ». « Patrimoine » prend ses lettres de noblesse et « matremoigne » est désormais réservé à la sphère intime du mariage. C'est en ce même XIIe siècle que devait l'emporter le terme «patrimoine»[6]. Cependant on rencontre le mot matrimoine encore au XIVe siècle[8],[9].
Christine de Pizan, au XVe siècle, alors que la polémique sur la place des femmes dans la société faisait rage, se fit la défenseuse du « matrimoigne »[6]. Puis « matremoigne » devient « matrimoine » en 1408.
« Mes chères amies, ne faites pas mauvais usage de ce nouveau matrimoine, comme le font ces arrogants qui s’enflent d’orgueil en voyant multiplier leurs richesses et croître leur prospérité. »
Christine de Pizan, La Cité des Dames (1405)
Le mot « patrimoine » comme terme référent est le résultat d’un processus de masculinisation de la langue entamée au xviie siècle, sous l’égide de l’Académie française. C'est dans l'Écho de la mode, en 1968, que resurgit dans l'orthographe contemporaine le « matrimoine ». Il s'agit alors de ne pas négliger ce qu'apporte la mère[7]. En 2015 le mot est relancé par les recherches d’Aurore Evain[10]. En 2018, parait un premier livre sur l’héritage culturel des femmes, portant le titre de Matrimoine[11].
Le Matrimoine aujourd'hui[modifier]
Artistes, musiciennes, autrices ou même savantes et héroïnes ont pour la plupart été « oubliées de l'Histoire » à part quelques icônes telles Marie Curie ou Jeanne d’Arc. Toujours mises en avant pour justifier l’Histoire oublieuse, ces rares icônes permettent aux institutions de démontrer qu’elles n’ont pas occulté la participation des femmes à la richesse culturelle de l’humanité. Les principales raisons de cet oubli sont à la fois liées :
- Aux limitations imposées aux femmes au cours de leur éducation. Elles ont pu passer le baccalauréat en 1924 seulement. Anne Chopinet, première année où l’École s’est ouverte aux filles est sortie major de sa promotion en 1994[12].
- Cependant, malgré les freins à l’éducation, les femmes ont toujours été créatrices, inventrices, chercheuses. Certaines ont été célèbres en leur temps, comme madame de Villedieu au XVIIe siècle autrice de théâtre, jouée à Versailles devant Louis XIV. Aussi connue que Molière en son temps, elle est passée sous silence. Aujourd’hui, sa pièce, « Le favori » est de nouveau mis en scène par Aurore Evain[13]
- L’inégalité de reconnaissance et d’acceptation des femmes dans les institutions officielles de France (différentes académies de peinture, académie Royale...) les femmes étaient cantonnées aux natures mortes et aux portraits jusqu’à la fin du XIXe siècle[14]. A l'académie Française la première femme à y entrer fut Marguerite Yourcenar en 1980[15]
- La difficulté des femmes de pouvoir s’adonner à leur art : les femmes possédant rarement un lieu spécifique afin de pouvoir se consacrer intégralement à une passion.
- A la volonté manifeste de certains collègues de travail de s’approprier les découvertes scientifiques, associée à la difficulté des femmes de se mettre en avant, effet d’une éducation qui tend à minorer tout travail féminin. On parle « d’effet Matilda » du nom de la chercheuse américaine au XIXe siècle, Matilda Joslyn Gage, qui la première a identifié cette appropriation. Rosalind Franklin est la victime emblématique du processus, elle qui a réalisé des clichés probants de la structure hélicoïdale de l’ADN et elle n’a pas été associé aux récipiendaires du prix Nobel.
Depuis 2015 des Journées du matrimoine sont organisées par différents acteurs et actrices de la culture et par les collectifs du Mouvement HF (égalité femmes hommes dans les métiers des arts et de la culture) donnant lieux à des performances (visites guidées, lectures, spectacles, performances, expositions...)[16].
Le 23 novembre 2017, le groupe Europe Écologie Les Verts demande au Conseil de Paris de renommer les Journées du patrimoine en Journées du matrimoine et du patrimoine, déclenchant de nombreuses réactions[10],[17]. La Ville s'est engagée à « intégrer le terme "matrimonial" dans sa communication tout en rappelant que l’appellation "Journées du Patrimoine" dépend du ministère de la Culture et des institutions européennes »[18].
Références[modifier]
- ↑ « Le Conseil de Paris va étudier «la dénomination Journées du Matrimoine et du Patrimoine» », leparisien.fr, 2017-11-23cet13:28:18+01:00 (lire en ligne, consulté le 16 février 2018)
- ↑ « JOURNEES DU PATRIMOINE : L'héritage des femmes s'appelle le MATRIMOINE », France Inter, (lire en ligne, consulté le 16 février 2018)
- ↑ « Remacle », sur remacle (consulté le 16 février 2017)
- ↑ Alain Rey, Dictionnaire Historique de la langue française, Paris, les Dictionnaires LE ROBERT, , 2383 p. (ISBN 2-85036-187-9), p. 1207
- ↑ Edith Vallée, « Matrimoine et « me too » », sur www.non-maternite.org,
- ↑ 6,0 6,1 et 6,2 « Vous avez dit « matrimoine » ? », Aurore Evain, (lire en ligne, consulté le 16 février 2018)
- ↑ 7,0 et 7,1 « Journées du patrimoine : Et pourquoi pas du «matrimoine» ? », FIGARO, (lire en ligne, consulté le 16 février 2018)
- ↑ Michael Jones, Recueil des Actes de Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre : Duc et duchesse de Bretagne (1341-1384), Presses universitaires de Rennes, (ISBN 9782753524484, lire en ligne), Actes de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, duc et duchesse de Bretagne, 1341-1364
- ↑ David Houard, Traités sur les coutumes anglo-normandes du XIe au XIVe siècle, publiés en Angleterre, depuis le XIe jusqu’au Quatorzième siècle, Le Boucher le jeune (Rouen), , T. IV, pp. 392 – 393
- ↑ 10,0 et 10,1 Aurore Evain, pour le Mouvement HF, « Vous avez dit matrimoine ? », Blog Médiapart, (lire en ligne)
- ↑ Edith Vallée, Le Matrimoine de Paris – 20 arrondissements – 20 itinéraires, Paris, Christine Bonneton, (ISBN 2862537551)
- ↑ « La pionnière sabre au clair », sur www.lexpress.fr,
- ↑ « Le Favori, par Aurore Evain », sur www.madamedevilledieu.univ-lyon2.fr,
- ↑ « Femmes artistes à l’âge classique (Paris) », sur https://www.fabula.org,
- ↑ « Discours de réception de Marguerite Yourcenar », sur http://www.academie-francaise.fr,
- ↑ « Les journées du matrimoine », sur http://www.matrimoine.fr
- ↑ David Belliard, David Cormand, Charlotte Soulary, Joëlle Morel (Groupe EELV), « Parler des Journées du matrimoine et du patrimoine, c'est en finir avec l'invisibilisation des femmes », Blog Huffington Post, (lire en ligne)
- ↑ David Belliard, entretien avec Marie-Anne Gairaud et Christine Henry, « Paris : pour ou contre la Journée du Matrimoine », Le Parisien, (lire en ligne)
Annexes[modifier]
Bibliographie[modifier]
- Pénélope Bagieu, Culottées. Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent, t. 1, Gallimard, , 144 p. (ISBN 9782070601387)
- Pénélope Bagieu, Culottées. Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent, t. 2, Gallimard, , 163 p. (ISBN 9782075079846)
- Marilyn Degrenne et Florette Benoit, L'ABC... Z des héroïnes, La Balade des Livres, , 65 p. (ISBN 2952326452)
- Béatrice Didier, Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber, Le Dictionnaire universel des créatrices, Éditions des femmes, , 5022 p., Coffret en 3 volumes (ISBN 9782721006516)
- Collectif Georgette Sand, Ni vues ni connues. Panthéon, Histoire, mémoire : où sont les femmes ?, Hugo Document, , 270 p. (ISBN 9782755631920)
- Philippe Godard et Witek Jo, Elles ont réalisé leur rêve. 50 portraits de femmes célèbres, Éditions de la Martinière, , 221 p. (ISBN 9782732457703)
- IDEM et Question de genre, Le Matrimoine catalan, 66 femmes ; El matrimoni català 66 dones, Trabucaïre, , 104 p. (ISBN 9782732457703)
- Till Lukat, Dures à cuire. 50 femmes hors du commun qui ont marqué l'histoire, t. 1, Cambourakis, , 128 p. (ISBN 9782849741665)
- Till Lukat, Dures à cuire. 50 athlètes hors du commun qui ont marqué le sport, t. 2, Cambourakis, , 128 p. (ISBN 9782366242799)
- Kate Pankhurst, Ces femmes incroyables qui ont changé le monde, Kimane, , 32 p. (ISBN 2368084045)
- Audrey Pulvar, Libre comme Elles, La martinière, coll. « Portraits de femmes singulières », , 216 p. (ISBN 9782732464015)
- Fanny Saccomanno, 99 femmes et nous, Milan, , 191 p. (ISBN 9782745955357)
- Éliane Viennot, Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Éditions iXe, , 139 p. (ISBN 9791090062443)
- Edith Vallée, Le Matrimoine de Paris – 20 arrondissements – 20 itinéraires, Christine Bonneton, 2018
Liens externes[modifier]
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