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Le Grand Bond en arrière

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Le Grand Bond en arrière
Comment l'ordre libéral s'est imposé au mondeLa page Modèle:Infobox/Pictogramme/universite.css n’a pas de contenu.
Auteur Serge Halimi
Pays France
Éditeur Fayard
Collection Documents
Date de parution 2004
Nombre de pages 648 (édition 2006)
ISBN 2213627681

Le Grand Bond en arrière est un livre du journaliste Serge Halimi publié une première fois en 2004 aux éditions Fayard (réédité en 2006) et publié dans une version revue et actualisée aux éditions Agone en 2012. Le titre est un clin d'œil au Grand Bond en avant de Mao Tse-Toung.

Ce long essai retrace d'un point de vue critique l'histoire de la montée des idées « néolibérales ». Serge Halimi explique l'essor des idées des penseurs libéraux à travers le XXe siècle comme Friedrich Hayek ou Milton Friedman, et comment leurs idées ont pu recevoir un écho dans le monde politique conservateur américain (Ronald Reagan), puis anglais (Margaret Thatcher), à travers des cercles de personnalités soigneusement sélectionnées[1] puis le financement d'institutions diffusant leurs idées (les think tank conservateurs[2]) par des grands dirigeants d'entreprises[3], et à travers la concentration des médias détenus par des capitaux privés[4].

La théorie posée par le livre[modifier]

Historique[modifier]

La montée au pouvoir aux États-Unis des pensées libérales est rendue possible par une alliance entre néoconservateurs[réf. nécessaire][5](favorable à la morale religieuse, anti-avortement, interdiction des drogues) et les néolibéraux (plutôt libertaires en ces domaines) au sein du parti républicain[6]. Cela se fait grâce à des positions communes sur la diminution du rôle de l'État social (l'État-providence qui prévaut alors jusque-là).

L'essor des organismes économiques internationaux durant la période qui suit, notamment le Fonds monétaire international, la BERD (dirigée à sa création par Jacques Attali et qui pousse les pays de l'Est à privatiser leur économie)[7] et l'OCDE en Europe, se fait souvent avec le concours des membres des institutions privées précédemment évoquées[8]. Leur déploiement à travers le monde permet une internationalisation de ces idées. Les réunions internationales comme la Trilatérale ou Bilderberg[9], ainsi que les réunions du G8[10] permettent également de nouer des contacts internationaux entre ces personnes[11].

La montée d'une élite libérale[modifier]

Serge Halimi attribue à leurs politiques un creusement prodigieux des inégalités de revenus, la vente du bien public (privatisations) et la casse des solidarités collectives. Il leur impute également des échecs économiques (la richesse de la Russie reste inférieure de 30 % à 1991, le PNB indonésien s'est écroulé de -15 %, la Corée -6 % juste après l'application des politiques du FMI)[12], et des reculs sociaux[13].

Le FMI est accusé[14] d'avoir accru les inégalités dans les pays du Tiers monde, où les gouvernements ont agi pour le compte des multinationales, avec la suppression de leurs industries nationales, et le développement d'une dette extérieure asphyxiant leurs économies. Les prétextes de démocratie ont disparu depuis la perte d'influence de l'URSS, et Serge Halimi cite Samuel Huntington (faisant partie de la commission Trilatérale) en 1976, qui reconnaissait alors que le Brésil aurait eu des « difficultés à accomplir (le développement de l'économie sous la dictature militaire) avec un régime démocratique », ainsi que le cas du Chili sous la dictature militaire de Pinochet[15].

Les démocrates américains comme Bill Clinton seront des adeptes du libre-échange international[16], selon Serge Halimi, et marqueront les accords ALÉNA et les « rounds » de libéralisation du GATT et de l'OMC à partir de 1995 : « Si nous croyons à la démocratie, nous devons nous employer à renforcer les liens du commerce ». Ces processus sont en fait surtout destinés à « ouvrir les marchés mondiaux aux produits américains », selon Bill Clinton. En Europe, même le socialiste Michel Rocard considère qu'il n'y a pas le choix[17], et que les menaces de délocalisations obligent l'État à limiter les impôts et à limiter la protection sociale[18]. Cela amène Noam Chomsky à conclure sur la diminution des rôles de l'État, au profit d'un « parlement virtuel » du libre flux des capitaux, qui peut influer sur les orientations des gouvernements. Les campagnes électorales deviennent de plus en plus axées sur la publicité et le marketing, avec l'apparition des conseillers en communication, en même temps que les campagnes deviennent sans contenu[19].

Serge Halimi rappelle que la mondialisation ne diminue pas l'exploitation du Tiers monde, notamment des enfants (« Aux uns l'exploitation des mineurs, aux autres les dividendes qu'elle procure. Le fouet est long, et la main qui la tient, ce sont les cinq doigts du marché. »), et cette mondialisation entraîne les travailleurs des pays développés à une compétition sociale, comme le dit Gary Becker[20].

Le développement de paradis fiscaux protège les détenteurs de capital[21], d'autant plus que les impôts progressifs sur le revenu, où les personnes riches sont plus fortement taxées, diminuent dans de nombreux pays[22]. « L'Union Européenne, qui devait pérenniser un modèle distinct des États-Unis, a servi d'incubateur à un ordre social se rapprochant du type américain », et les partis politiques ne tentent pas d'infléchir « l'inspiration néolibérale de l'édifice bruxellois[23] », et Alain Madelin y voit « une assurance-vie contre le socialisme », ainsi que Alain Touraine : « En France, le mot libéralisme était imprononçable, alors on en a trouvé un autre, Europe[24] ». Serge Halimi estime que l'Europe ne saurait être socialiste (et même les socialistes le reconnaissent[25]), car la politique européenne ne concerne que la libre-concurrence, et la lutte contre l'inflation. Elle amène également les pays à converger vers un moins-disant fiscal, qui débouche sur un moins-disant social. Serge Halimi cite Régis Debray sur la monnaie, et il prend comme symbole les billets européens : « L'Institut monétaire européen a tenu à donner à l'Europe une « représentation appropriée ». Pour symboliser l'esprit d'ouverture, on a dessiné au recto des fenêtres et des portails ; et au verso, des ponts, symboles de communication. 5 euros, une baie antique, un aqueduc. 10 euros, un portail roman, un pont de pierre, etc. […] Une Europe virtuelle, flottante, sans pilotis dans l'indiciel et le charnel, se représente de façon appropriée par des ponts suspendus en l'air, des fenêtres donnant sur rien, des piliers et des culées posés sur le vide ».

L'adhésion de la gauche au projet libéral[modifier]

Selon Serge Halimi, à l'échelle mondiale, ce sont souvent les grands partis historiques de la gauche qui ont réalisé les réformes néolibérales[26]. Il cite notamment Jimmy Carter et Bill Clinton pour le Parti démocrate aux États-Unis ; François Mitterrand, Alain Minc, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius et Lionel Jospin pour le Parti socialiste en France, Tony Blair pour le Parti travailliste britannique[27] au Royaume-Uni, ou encore Roger Douglas pour le Parti travailliste en Nouvelle-Zélande.

Les médias ont parfois été un vecteur important de soutien électoral. Serge Halimi cite entre autres le cas de Murdoch, propriétaire du Sun, qui soutint Tony Blair dont le gouvernement libéralisa ensuite le secteur de la communication au Royaume-Uni, permettant au groupe de Murdoch d'accroître sa présence[28].

D'après l'auteur, les classes sociales n'ont pourtant pas disparu ; au contraire, des classes de « nouveaux valets » réapparaissent : employés de maisons, gardiens, jardiniers, femmes de ménage[29]. Il rappelle qu'aux États-Unis, 1 % des Américains possèdent, après impôt, davantage que les 40 % de leurs concitoyens les plus pauvres[30].

Serge Halimi cite Gary Becker qui estime que les hommes d'affaires ont parfois intérêt à la victoire des partis de gauche, qui sauront avoir plus facilement la confiance des syndicats, et faire passer des réformes sans heurts sociaux[31], d'autant mieux que les partis socialistes acceptent d'abandonner le socialisme[32].

L'auteur estime alors que les politiques « néoprogressistes » des partis de gauche, qui se veulent « modernes », ont abandonné les catégories populaires (déjà fragilisées par l'affaiblissement continu des syndicats ouvriers) pour privilégier à leur place des couches sociales de plus en plus bourgeoises (dont les intérêts sont pourtant déjà défendus par les partis conservateurs).

La conclusion de Serge Halimi[modifier]

Selon Serge Halimi, la gauche doit maintenant tirer des leçons des trente années écoulées : la droite libérale a remporté la bataille des idées parce qu'elle s'y est engagée à fond, sur le long terme, et n'a pas redouté d'être jugée extrémiste par ses adversaires. Au demeurant, elle a bénéficié, surtout depuis 1980-1985, de l'appui des médias qui ont fréquemment été privatisés (comme d'autres secteurs de l'économie) et vendus à de grands groupes industriels et financiers. Susan George reconnaît que les idées altermondialistes, malgré une certaine visibilité, n'ont pour le moment pas permis d'avancées concrètes[33]. Les crises du capitalisme (krach boursier de 1987, crise monétaire de 1998, éclatement de la bulle internet en 2001) n'ont pas remis en cause l'ordre économique néolibéral. De même, les attentats du ont plutôt renforcé le pouvoir en place, la peur soudant souvent les populations à leurs gouvernants[34].

Le constat de Serge Halimi est que : « Le marché s'installe, y compris dans nos cerveaux, obligés de comparer en permanence les prix et les services : hier les forfaits de téléphones portables, demain les abonnements au gaz, comme si notre intelligence du monde devait être absorbée par un buvard permanent de consommation permettant de rendre plus naturelle la transformation du monde en marchandise. Et puis il y a les écoles que l'on met en concurrence pour pouvoir orienter dès le plus jeune âge ses enfants vers les meilleurs lycées, qui eux-mêmes préparent aux meilleures universités. Il y a aussi les hôpitaux, les villes, les régions que l'on classe pour apprendre comment échapper au destin perdant de qui ne privilégie pas à chaque instant son salut individuel. ».

Le changement de société pourrait provenir, selon Serge Halimi, d'un besoin d'utopie auquel le capitalisme est incapable de répondre : « l'augmentation de la production n'est pas généralement perçue comme un projet aussi attachant que la famille, l'amitié, la tradition, la solidarité [..] l'algèbre morte de la mondialisation [..] bénéficie d'un appui fragile[35] ».

Réception[modifier]

Le livre fut parfois violemment critiqué. Alain Duhamel, dans Le Point (29/04/04), parle de « simplisme absolu » et de « myopie infantile », de « haine savante du capitalisme », et accuse Serge Halimi de vouloir « régner sur l'intelligentsia française d'extrême gauche » et d'être un « mandarin de deuxième classe parmi les idéologues du gauchisme ».

L'Expansion (26/05/2004) conclut que ce livre et les autres livres altermondialistes étaient « cacophoniques », et renvoya plutôt ses lecteurs vers la lecture des livres d'Alain Minc.

L'Express fit paraître un commentaire, assez mesuré[réf. nécessaire], d'Éric Dupin. Il estime le constat juste mais regrette que Serge Halimi ne propose pas de solutions convaincantes[36].

Daniel Mermet invita Serge Halimi à son émission Là-bas si j'y suis, sur France Inter.

Le journal Marianne fit un article plutôt élogieux[37].

Notes et références[modifier]

  1. Société du Mont Pèlerin, Fondation Saint-Simon, Commission trilatérale, Bilderberg, ou encore le Forum de Davos (p. 254)
  2. comme la Fondation Olin, Hoover Institution, Heritage Foundation, Progress and Freedom Foundation, Cato Institute, American Enterprise Institute (p280 et précédentes)
  3. Rupert Murdoch, John Olin, David Koch, Smith Richardson, Lily, Sarah Scaife, R.J.Reynolds et Philip Morris (p. 283 du livre)
  4. Citation de Susan George, p. 259 : En 1988, M. Allan Bloom, directeur du Centre Olin pour l'étude de la théorie et la pratique de la démocratie à l'université de Chicago (qui reçoit chaque année 36 millions de dollars de la Fondation Olin), invite un obscur fonctionnaire du département d'État à prononcer une conférence. Celui-ci s'exécute, en proclamant la victoire totale de l'Occident et des valeurs néolibérales dans la guerre froide. Sa conférence est aussitôt reprise sous forme d'article dans The National Interest (revue qui reçoit 1 million de dollars de subventions Olin), dont le directeur est un néolibéral très connu, M. Irving Kristol, alors financé à hauteur de 326 000 dollars par la Fondation Olin en tant que professeur à la Business School de la New York University. M. Kristol invite Bloom, plus un autre intellectuel de droite renommé, M. Samuel Huntington (directeur de l'Institut Olin d'études stratégiques à Harvard, créé grâce à un financement Olin de 14 millions de dollars) à « commenter » cet article dans le même numéro de la revue. M. Kristol y va aussi de son « commentaire ». Le « débat » ainsi lancé par quatre bénéficiaires de fonds Olin autour d'une conférence Olin dans une revue Olin se retrouve bientôt dans les pages du New York Times, du Washington Post et de Time. Aujourd'hui, tout le monde a entendu parler de M. Francis Fukuyama et de la Fin de l'histoire, devenu un best-seller en plusieurs langues !
  5. Selon Zeev Sternhell, autre penseur « de gauche », le néoconservatisme a au contraire pour principal ennemi le libéralisme
  6. p. 277-279
  7. p. 304
  8. p298 et suivantes
  9. Réunions où assistent également des socialistes français : Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius, Hubert Védrine, Pascal Lamy (p. 301)
  10. « C'est un club de riche et de puissants qui émet des vœux et invite parfois à sa table les plus pauvres sans rien changer aux déséquilibres du monde », selon François Hollande (p. 302)
  11. C'est l'occasion de « prendre un verre au bar avec Kissinger ou Wolfowitz, sans risquer d'être dérangé », selon le député UMP Pierre Lellouche, de Bilderberg (p. 300)
  12. p310 et suivantes, avec les exemples de la Russie, la Corée, l'Indonésie, l'Argentine pour le FMI
  13. p. 320, avec les démantèlement des salaires minimaux au Royaume-Uni, ou la baisse de la part des revenus salariaux dans le PIB
  14. p349-350
  15. p354
  16. p361 et suivantes
  17. p372
  18. Citation de Philippe Séguin, p. 376 : Les politiques n'aiment pas reconnaître que là où la démocratie existe, on décide de moins en moins et qu'à l'inverse, là où on décide de plus en plus, il n'y a pas de démocratie. Certaines décisions fondamentales sont prises à l'échelle européenne ou planétaire, de manière formelle ou informelle, sur un mode libéral voire ultralibéral, sans que les peuples aient voix au chapitre.
  19. p. 379
  20. p387
  21. « Margaret Thatcher avait enregistré sa demeure londonienne de 3 millions de livres au nom d'une entreprise offshore (Bakeland Property Ltd, Jersey) », p390
  22. p391, États-Unis, Suède, Pays de l'Est, Russie, Ukraine
  23. p392
  24. p395
  25. p398
  26. p419
  27. Citation de Tony Blair, p456« Je voudrais une situation comme celles des démocrates et des républicains aux États-Unis. Là-bas, personne ne met en doute une seconde que les démocrates sont un parti favorable au business. Nul ne devrait se poser la question à propos du New Labour »
  28. p449-450
  29. p512
  30. p514 - Voir l'article Inégalités de revenu
  31. p530
  32. Henri Emmanuelli : « Les socialistes ont longtemps rêvé d'une troisième voie entre le socialisme et le capitalisme. À l'évidence, elle n'est plus possible. La solution, c'est de choisir clairement l'un des deux systèmes et d'en corriger les excès. Nous avons choisi l'économie de marché ». Programme socialiste de 1991 : « Le capitalisme borne notre horizon historique », p532
  33. p545
  34. Steve Byers, ministre du commerce anglais du gouvernement de Tony Blair avait envoyé un courrier une heure après le drame « C'est un très bon jour pour faire ressortir et passer en douce toutes les mesures que nous devons prendre. » p. 549
  35. p. 567
  36. Eric Dupin, « Le livre noir du capitalisme », sur lexpress.fr, .
  37. Édition du 29 mars 2004 au 4 avril 2004

Articles connexes[modifier]

Liens externes[modifier]

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