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L'ennui

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L'ennui ✒️📰
Thème




L'ennui, expérience du vide c'est-à-dire du rien qui n'est pas rien puisqu'il est insupportable.

C'est le vide du désir pour Schopenhauer, quand la Volonté en vient à manquer d'objet, n'a plus aucun motif de désirer.


L'ennui, c'est la fixation de l'esprit sur le temps, le temps lui-même et qui, partant, ne passe plus. Qui a le regard fixé sur les aiguilles de l'horloge les voit immobiles. Tout est évidé, plus de contenu, ne reste que le contenant : le temps.

L'ennui et l'insomnie sont des stagnations du temps.

"L'ennui, c'est voir le temps", dit Malebranche.

Versus : "je n'ai pas vu le temps passer".

Tragique et inextricable rapport au temps : nous sommes autant accablés par le temps qui passe et ne reviendra plus que par le temps qui ne passe pas des "après-midi dominicales" et qui, pourtant, aura fini par passer... en pure perte. Pris entre les regrets et l'ennui. Bref le temps est désespérant : qu'il passe ou qu'il ne passe pas, l'un et l'autre insupportables... Le "temps perdu" dans La Recherche est autant celui qui a disparu à jamais que celui qu'on n'a pas su remplir, dans l'ennui ou le divertissement.


L'ennui, une conscience attristée d'être affublée d'elle-même.

Esprit vide qui ne réussit pas à se défaire de lui-même.

Insupportable conscience de la conscience du vide de la conscience.

Honteux ennui : "je m'ennuie", comprendre : je ennuie moi, je est ennuyeux. Triste aveu sur soi-même, triste prise de conscience de sa propre indigence. De fait, il ne devrait guère y avoir plus affligeant que de "s" 'ennuyer (soi-même). "Je ne m'embête nulle part, car je trouve que, de s'embêter, c'est s'insulter soi-même." (Jules Renard, Journal).


Et positivité de l'ennui. Jankélévitch dit, à peu près, le merveilleux vide qu'est l'ennui, capable de recevoir toute forme et tout contenu, une sorte d'appel d'imaginaire. L'imaginaire s'engouffre dans l'ennui. Aurions-nous Rimbaud sans ses ennuis pendant les gris et interminables dimanches à Charleville-Mézières ? Une bourgeoise ("les gens") crainte de l'ennui, horreur du vide ; ainsi Robert Walser à propos d'Hölderlin : "je suis convaincu qu'Hölderlin, durant les trente dernières années de sa vie, n'était pas si malheureux que les professeurs de littérature se plaisent à nous le dépeindre. Pouvoir rêvasser tranquillement dans un coin sans avoir constamment des devoirs à remplir, ce n'est certes pas un martyr. Sauf que les gens croient que c'en est un". (C. Seelig, Promenades avec Robert Walser, 48 ou 208 ?)

L'ennui, mode d'être au monde (Heidegger, Agamben). Alors que nous sommes habituellement pris dans et par les choses du monde, affairés, entraînés par les rouages du temps; dans l'ennui on perd prise, les choses nous indiffèrent (comprendre au sens actif, comme un acte des choses elles-mêmes) et les rouages du temps n'accrochent plus, tournent à vide. Le monde s'est retiré dans l'insignifiance, l'indifférence, il se refuse à nous. Notre être (sens actif) n'est plus sans aucune prise sur les choses, est incapable de s'accrocher à aucune d'elles (on essaie de lire une page, l'attention ne peut se maintenir ; on essaie de s'attaquer à une question, rien ne s'ouvre, les termes de la question tournent et se répètent sans sortir d'eux-mêmes et en se vidant de leur signification ; on essaie de ranimer des souvenirs qu'on ne peut retenir au-delà de leur surgissement qui s' évanouit aussitôt...). C'est un mode d'être au monde. "Dans l'ennui nous nous trouvons soudain abandonnés dans le vide", "livrés à l'étant qui se refuse"(Heidegger). C'est l'insignifiance des choses qui nous pénètre, dont nous sommes obsédés. L'ennui est révélateur, alors, du sens des choses pour Cioran. Il est la condition de la lucidité.

"L'étant qui se refuse" ou nous qui le refusons ? Un vide du désir : "je n'ai le coeur à rien. Je n'ai pas le coeur de monter à cheval, le mouvement est trop violent ; je n'ai pas le coeur de marcher, c'est trop fatigant ; ni de me coucher, car, où je dois rester couché et je n'en ai pas le coeur, où je dois me lever à nouveau et je n'ai pas davantage le coeur de le faire. Summa summarum : je n'ai le coeur à rien " (Sören Kierkegaard, Ou bien...ou bien...)?

Les animaux s'ennuient-ils ? La tique dans le laboratoire de von Uexküll (Mondes humains, mondes animaux) : l'une d'entre elles a été maintenue en vie 18 ans, sans nourriture, dans un état d'isolement absolu, c'est-à-dire privée de tous les stimuli (de fait très peu nombreux) auxquels elle est sensible et auxquels, seuls, elle réagit, les stimuli "signifiants" de son Umwelt et qui le définissent. Alors s'ennuyait-elle ? Attendait-elle ? Certainement aussi peu que n'attendent d'être lus et s'ennuient les livres rangés dans une bibliothèque. Disparition du temps. Dans l'ennui, au contraire, il y a encore du temps mais épais quasi solidifié qui passe péniblement ou plus du tout. Le temps suppose du vivant en acte. Pas d'insignifiance non plus pour notre tique. Les choses jetées dans l'insignifiance par l'ennui, on les sait être, dans d'autres temps, signifiantes qui sont là maintenant dévitalisées. Mais pour la tique, les stimuli signifiants soustraits, aucune autre chose ne peut exister donc aucune ne peut être insignifiante car pour ça il faut être.

Mais pour Heidegger l'homme qui s'ennuie se trouve dans le proche voisinage de la stupeur animale (voir Agamben, L'Ouvert, p.106). Par "stupeur animale" comprendre l'enfermement sans distance et sans ouverture possible dans l'Umwelt constitué par, et seulement par, l'ensemble des stimuli venant du monde auxquels l'animal est sensible.

Je crois plutôt que l'ennui n'est pas la stupeur : l'homme est ouvert à ce qui se refuse (c'est précisément l'ennui), l'animal y est fermé et ne peut faire l'expérience du refus ni, donc, de l'ennui. Le Dasein dit Agamben est "un animal qui a appris à s'ennuyer, qui s'est réveillé de sa propre stupeur et à sa propres stupeur" (p.114), ce qui est dire que l'homme est le seul animal capable d'ennui parce qu'il est sorti de la stupeur. Mais il s'agit plus que de la simple suspension de la stupeur car la tique déconnectée de tous ses stimuli, libérée de sa stupeur ne devient pas pour autant humaine. Alors si l'ennui est le propre de l'homme, peut-on suivre Heidegger qui en fait l'origine de l’anthropogenèse, du devenir Dasein du vivant homme ?


L'ennui chez Cioran. La malédiction dans laquelle nous précipite l'émancipation à l'égard de la première existence, paradisiaque : "si les après-midi dominicales étaient prolongées pendant des mois, où aboutirait l'humanité, émancipée de la sueur, libre du poids de la première malédiction ? (...) La sensation de l'immensité du temps ferait de chaque seconde un intolérable supplice (...) Enlevez la malédiction suspendue au-dessus de l'histoire : elle s'annule aussitôt, de même que l'existence, dans la vacance absolue, étale sa fiction." (Précis de décomposition, Les dimanches de la vie). L'universalisation de l'ennui (si tous les jours étaient des dimanches, jours sans suées, trêves de "la première malédiction") serait pour Cioran apocalyptique : "l'univers transformé en après-midi de dimanche...c'est la définition de l'ennui - et la fin de l'univers." (idem). Car l'apocalypse, c'est aussi la révélation : si les extensions dominicales indéfinies mènent l'univers au suicide, la véritable raison en serait le règne sans opacités de la lucidité dans "la contemplation de la pure existence" (épurée des gestes de l'affairement du divertissement). C'est l'expérience, rare, qu'en font " les désœuvrés [qui] saisissent plus de choses et sont plus profonds que les affairés : aucune besogne ne limite leur horizon; nés dans un éternel dimanche, ils regardent - et se regardent regarder." (idem) Lucidité qu'il est donné à bien peu de supporter car "dans ces dimanches interminables le mal d'être se manifeste à plein" et tout ce qui se fait n'est que tentative d'y échapper : l'amour lui-même n'a pas d'autre "fonction" que "de nous aider à endurer les après-midi dominicales, cruelles et incommensurables". On comprend que le mot "apocalypse" signifie à la fois "fin des temps" et "révélation". On comprend aussi que "la première malédiction", la condamnation au travail, à gagner sa vie à "la sueur de son front" est bien la condition de l'humanisation, de l'acceptation et de la perpétuation de la vie, de l'enclenchement de l'histoire. Mais la véritable malédiction est ailleurs (et transforme la première en bénédiction !)  : avoir rendu l'homme incapable de désœuvrement, incapable d'être heureux et désoeuvré, c'est la condamnation à l'ennui (nous ne sommes pas condamnés au travail, nous sommes condamnés à l'ennui et nous inventons le travail et ses tracas pour échapper à l'ennui -Je surinterprète Cioran-). Ce qui est donc perdu dans la chute, c'est la capacité au bonheur dans l'oisiveté. D'où le goût, l'admiration de Cioran pour les oisifs, les paresseux et les désœuvrés qui sont des êtres d'avant la chute (2).

Il faut certainement comprendre Pascal de la même façon : son "divertissement" ne sert pas qu'à masquer notre peur de la mort. Il nous préserve surtout de l'ennui, c'est la fuite devant l'ennui (1). Et les deux se mêlent puisque l'ennui ouvre la lucidité sur notre condition, mortelle. Comme chez Cioran, certainement, l'ennui est le moment de la lucidité et, comme chez Cioran encore, la lucidité est insupportable. Il y a une peur de l'ennui : celle de se retrouver devant l'insupportable vérité des choses.

(1) Un dialogue, signé Prévert, dans Remorques, fim de Grémillon : Lui - J'ai des ennuis. Elle - Tu as de la chance d'avoir des ennuis, moi je n'ai pas d'ennuis, mais je m'ennuie.

(2) Voir dans ces articles, celui consacré à la contemplation. Le bonheur dans l'oisiveté serait celui des contemplatifs, la fonction initiale de l'homme serait la contemplation (Pic de la Mirandole) et cette même contemplation serait le summum de la spiritualité, retour à l'état pré-adamique...