Badouillards
La Société des Badouillards[1] est une société festive et carnavalesque étudiante parisienne. Elle est décrite avec précision dans le compte rendu d'un procès pour danses licencieuses en 1833[2]. Un ouvrage datant de 1844, le Catéchisme du Carnaval ou l'art de se dire de gros mots sans se fâcher ni fâcher personne ; répertoire de gaité à l'usage des amis de la joie, par le secrétaire perpétuel de l'Académie des Badouillards, Flambards, Chicards, Braillards et autres sociétés buvantes[3], publie la Grande Charte des Badouillards et parle d'eux, les décrivant et précisant que ceux-ci ont pris historiquement la succession de la Société des Cochons[4]. Enfin la Trilogie carnavalesque du Carnaval du Galopin, parue à une date indéterminée au XIXe siècle et avant 1854, mentionne les Badouillards au côté d'autres sociétés carnavalesques parisiennes.
Cette société avait même créé son jargon propre :
- ...vers 1830, nous raconte Privat d'Anglemont, une association d'artistes et de littérateurs, les bousingots devenus badouillards, établis à Paris dans une maison de la rue Childebert, aux allures singulières et au langage étrange, avaient adopté, entre autres bizarreries, cette finale mar : « Quant au reste de la langue, on se bornait a retrancher la dernière consonance, pour y substituer la syllabe mar. On disait épicemar pour épicier, boulangemar pour boulanger, cafémar pour café, ainsi de suite. C'était de l'esprit dans ce temps-là. D'où venait cette syllabe-là ? Mystère[5]. ».
Le procès des Badouillards[modifier]
Compte-rendu paru dans la Gazette des Tribunaux[6].
- — Savez-vous ce que c'est que la société des Badouillards ? Si l'on en croyait les explications de Me Chicoisneau, avocat de plusieurs prévenus qui, au nombre de douze, furent arrêtés dans le courant du mois dernier au bal masqué du Panthéon, l'esprit d'association et la promiscuité saint-simonienne existeraient parmi les Badouillards. Argent, peines, plaisirs, études, grisettes[7], livres, parures, bottes et opinions, tout serait commun entre les Badouillards. Le Badouillard, être collectif composé d'une vingtaine d'étudians, eut envie, le mois ci-dessus indiqué, d'aller au bal du Panthéon. Le Badouillard se déguisa en paillasse, costume éminemment à la mode du jour, et dépensa soixante francs pour vingt parures en toile à matelas. Le Badouillard mis ses vingt costumes, fit en entrant de l'effet comme quarante et du bruit comme cent ; il s'échauffa bientôt, et passa par degrés de la licence du cancan aux turpitudes anti-morales de la chahut. Le garde municipal[8], autre être collectif, composé uniquement de quatre individus, s'en émut ; des admonestations les plus civiles il passa aux menaces, et finit par prendre à la collerette un des vingt Badouillards. Les autres qui devaient réclamer, conformément à la charte Badouillarde, la solidarité du violon ou de la liberté, se ruèrent comme un seul homme sur le garde municipal, qui fut obligé de céder au nombre, de battre en retraite et de rendre les prisonniers. Mais la retraite du garde n'était qu'une démarche de prudence ; il revint bientôt plus fort et plus nombreux, et comme le Badouillard portait cette nuit là son nom écrit sur ses vingt chapeaux, il fut facile de reconnaître les délinquans, dont l'exaltation pu se calmer à loisir sous l'influence du violon voisin et du léger costume qu'ils portaient alors[9].
- En résumé tout le délit se résumait à quelques gourmades, à quelques épithètes assez injurieuses, à des gestes portant, moins que partout ailleurs, à raison de la composition du bal, le caractère d'outrage à la pudeur. Il paraît, en effet, que le sexe enchanteur qui embellit notre existence et les bals masqués du cloître Saint-Benoît, se composait en grande partie, ce jour-là, d'étudians imberbes habillés en marquises, en soubrettes, en poissardes, etc., etc. En se rappelant qu'à la même époque, l'autorité a jeté un voile d'oubli sur les désordres du bal costumé du grand Opéra[10], dans lequel quelques hauts personnages furent, dit-on, arrêtés sous le masque des perturbateurs, on aurait pu croire qu'il y avait eu aussi indulgence et oubli, à raison des joies du carnaval, en faveur du trop témeraire Badouillard. Il n'en a pas été ainsi, et douze étudians comparaissaient aujourd'hui devant la 6e chambre.
- Aux débats, les prévenus ont allégué pour leur défense qu'ils avaient joui jusqu'alors dans le bal masqué du Panthéon de la liberté la plus illimitée, qu'ils n'avaient pas dansé la chahut, mais un cancan perfectionné, et que d'ailleurs la licence du carnaval jetait momentanément un voile sur les rigueurs des articles 330 et 224 du Code pénal, qui punissent les outrages à la pudeur et les résistances à la garde, et donnait en même temps une nouvelle vigueur à l'article 463 du même Code qui admet, en faveur des délinquans, des circonstances atténuantes.
- Quatre des prévenus ont été acquittés, et les plus coupables condamnés à quelques jours de prison.
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Un carnavaleux parisien anonyme écrit[11], décrivant le défilé du Carnaval rue Saint-Honoré et sur les Grands boulevards :
- —Ah ! Ah ! Ah ! — Une clameur s'élève : c'est un énorme char précédé d'un drapeau, avec cette inscription : vivent les badouillards !!! — Le char passe au milieu d'un sabbat monstre ; tous parlent à la fois, crient, beuglent. Puis d'autres chars avec d'autres drapeaux, les enfants de la joie, les forts buveurs, et enfin, les chemisiers de Paris !
Les Badouillards en 1844[modifier]
Les badouillards ont détrôné la société des cochons qui s'était formé à l'orient de la poudrette, sous le vent de Mont-Faucon et les auspices de la direction suprême des fosses mobiles et inodores. Les cochons ne règnent plus dans l'empire des plaisirs sans propreté ; mais leurs successeurs se montrent dignes de marcher sur leurs traces : vous les verrez quand auront commencé les promenades du bœuf gras[12], et même auparavant et après ; si Dieu leur prête vie, vous les verrez sur les quais, sur les places, dans la rue St-Honoré et principalement sur les boulevards[13], remplir des calèches de louage, des fiacres, des tapissières, des charrettes, et circuler en vomissant l'injure et l'obscénité, sous toutes ses formes, aux oreilles des enfans de bonne famille envoyés dans de brillants équipages pour entendre les leçons de tous ces professeurs de saturnales : c'est là que les petits et les grands apprennent à estimer le peuple ; ils se figurent que le peuple est une innombrable collection de badouillards et badouillardes, et ne s'imaginent pas que tout le personnel de ce dévergondage n'est qu'une troupe d'élite.
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Les Badouillards apparaissent dans la Trilogie Carnavalesque intitulée Carnaval du Galopin[14]. Il y est écrit, s'agissant du Carnaval de Paris :
- « LE BOUL'VARD[13] vois-tu c'est l'asile du carnaval chicocandard je vas te montrer à la file, l'état major d'mosieu MUSARD, les chicards, balochards, flambarts et badouillards... »
La succession des Badouillards[modifier]
Une note accompagnant Mon vieux quartier latin, chanson de Antonio Watripon, parue dans La Muse gauloise, numéro 11, du 1er août 1863, indique que les Badouillards sont une « Société du quartier (latin), à laquelle succéda celle des Roca, en 1843 et 1844[15]. »
Sources[modifier]
- Collections historiques de la Préfecture de Police, où la Gazette des Tribunaux fait partie des usuels.
- Catéchisme du Carnaval ou l'art de se dire de gros mots sans se fâcher ni fâcher personne ; répertoire de gaité à l'usage des amis de la joie ; par le secrétaire perpétuel de l'Académie des Badouillards, Flambards, Chicards, Braillards et autres Sociétés buvantes, B. Renaud, éditeur, Paris 1844[3].
- Cabinet des Estampes du musée Carnavalet, où un exemplaire du Carnaval du Galopin figure dans la collection Vimont[16].
Bibliographie[modifier]
- François Gasnault - Guinguettes et Lorettes – Bals publics et danse sociale à Paris entre 1830 et 1870 - Éditions Aubier, Paris 1986. Dans cet ouvrage apparaît le procès des Badouillards.
Notes et références[modifier]
- ↑ Badouillard est un mot alors en usage désignant un fêtard, viveur, jeune.
- ↑ Ce texte rend également bien compte de l'atmosphère régnant à l'époque dans le fête parisienne, où la danse occupe une place privilégiée.
- ↑ 3,0 et 3,1 Plaquette anonyme in-18, 107 pages dont une trentaine pour l'introduction qui traite essentiellement des sociétés carnavalesques et leurs histoires récentes. Cet ouvrage, version à peine déguisée du Catéchisme Poissard interdit par une ordonnance de police du 10 février 1830, compte une planche dépliante en frontispice de Paul Gavarni et 59 vignettes gravées dans le texte, bois originaux de Honoré Daumier et Paul Gavarni. Côte BNF Z-44889
- ↑ Une version légèrement différente de la Grande Charte des Badouillards et datée différemment a été publiée en 1842 dans la Physiologie de l'Opéra, du Carnaval, du Cancan et de la Cachucha, par un vilain masque. Dessins de Henri Emy, Raymond-Bocquet Éditeur, Paris 1842, pages 47-49.
- ↑ Privat d'Anglemont, Paris anecdote, 1854, page 190, cité par Lazare Sainean dans : Le langage parisien au XIXe siècle : facteurs sociaux, contingents linguistiques, faits sémantiques, influences littéraires, E. de Boccard éditeur, Paris 1920, page 495.
- ↑ Copie complête de l'article qui est dépourvu de titre. Il est paru dans le numéro 2343 du dimanche 17 février 1833. Le Mardi Gras tombait cette année-là le 19 février.
- ↑ C'est-à-dire jeunes filles d'abord facile.
- ↑ Il s'agit de la police municipale de Paris.
- ↑ Cette remarque fait allusion à ce que « le violon », c'est-à-dire la cellule où les Badouillards se retrouvent enfermés en plein hiver, n'est pas chauffée.
- ↑ Le célèbre bal de l'Opéra.
- ↑ Physiologie de l'Opéra, du Carnaval, du Cancan et de la Cachucha, par un vilain masque. Dessins de Henri Emy, Raymond-Bocquet Éditeur, Paris 1842, pages 39-40.
- ↑ La Promenade du Bœuf Gras se déroulait sur plusieurs jours de suite, d'où ici sa mise au pluriel par l'auteur du texte.
- ↑ 13,0 et 13,1 La ligne des Grands Boulevards à l'époque haut lieu de promenades parisiennes et des festivités du Carnaval.
- ↑ Cette Trilogie Carnavalesque dédiée à Mr Félicien, consiste en une alternance de morceaux parlés et chantés. Les paroles sont de Ernest Bourget, la musique de A. Marquerie. Cette œuvre date du XIXe siècle et est antérieure à 1854, année du départ en retraite de Philippe Musard. Elle compte 4 pages imprimées plus une page illustrée de couverture, où figurent deux personnages costumés et derrière eux le défilé de la Promenade du Bœuf Gras.
- ↑ Antonio Watripon, Mon vieux quartier latin, La Muse gauloise, 1er août 1863, page 84, 1ère colonne.
- ↑ Collection de plusieurs centaines de chansons, classées par thèmes et pour la plupart éditées au XIXe siècle, offerte par le docteur Vimont au Cabinet des Estampes du musée Carnavalet vers 1945.
Articles connexes[modifier]
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