You can edit almost every page by Creating an account. Otherwise, see the FAQ.

Le hasard et la prévisibilité

De EverybodyWiki Bios & Wiki
Aller à :navigation, rechercher

L’imprévisibilité est-elle un attribut essentiel du hasard ?

Cournot définit le hasard comme "la rencontre de deux séries causales indépendantes". On peut donc imaginer connaître parfaitement temps et lieu du déroulement des deux séries causales et pouvoir alors prévoir leur rencontre. On voit de notre fenêtre un homme se déplacer dans la rue (première série) et, en même temps, une tuile, délitée par le vent, glisser sur la pente du toit (deuxième série) et on peut se dire avec certitude : "il va se la prendre". On peut imaginer pouvoir connaître avec précision le moment où l'impact d'un astéroïde avec notre planète aura lieu, etc. Dans les deux cas, les séries causales sont objectivement indépendantes (il n'y a aucune interaction entre les deux et aucune transcendance n'organise intentionnellement leur rencontre). La rencontre, prévisible, relève pourtant bien du hasard.

On peut même parler d'une "prévisible imprévisibilité" du hasard. Poincaré parlant des probabilités engendrées par le hasard dans les événements à grand nombre : "Vous me demandez de prédire les phénomènes qui vont se produire. Si par malheur je connaissais les lois de ces phénomènes, je ne pourrais y arriver que par des calculs inextricables et je devrais renoncer à vous répondre, mais comme j'ai la chance de les ignorer, je vais vous répondre tout de suite. Et, ce qu'il y a de plus extraordinaire, ma réponse sera juste. Il faut bien que le hasard soit autre chose que le nom que nous donnons à notre ignorance". Un exemple : si on me demande de prévoir le résultat d'un coup de dé, en droit prévisible car obéissant à des déterminismes stricts, mais en fait que par d'inextricables calculs dans lesquels entreraient la mesure de la force du lancer, sa direction, la position du dé relativement au sol, la configuration géométrique du sol qui le recevra, la vitesse du vent, etc. Par contre, si le dé est jeté un très grand nombre de fois, et c'est à ces phénomènes statistiques que fait allusion Poincaré, on peut prévoir que chaque face du dé, si le dé n'est pas pipé, sera sortie un sixième de fois. Le résultat sera d'autant plus exact que le nombre de jets sera grand. L'imprévisibilité du résultat de chaque jet entraîne la prévisibilité de la proportion de chaque résultat possible dans le grand nombre. Je sais avec certitude ce qui va se passer dans ces événements à très grand nombre parce que j'ignore chaque résultat singulier.

Ce n'est donc pas l'imprévisibilité qui caractérise le hasard mais c'est l'absence de toute intervention subjective, ou plutôt de tout sujet intentionnel, dans ces événements. Absence de tout sujet quelle que soit la transcendance qu'on veut lui supposer : Dieu, malin génie ou démon de Laplace. Rien ni personne ne décide de la rencontre de la tuile et de la tête. Le concept de hasard désigne donc l'absence, le rien, le "personne" qui présiderait à la rencontre des événements, leur parfaite ignorance réciproque et, semblablement, dans les jeux de hasard, la passivité du joueur à qui est refusée toute possibilité d'intervention : le sujet, là aussi se rend absent, son intention, son souhait ne pouvant être soutenus par aucune intervention. On accède donc au concept de hasard quand on peut penser un monde sans sujet. Raison pour laquelle, selon Piaget, il se construit tardivement chez l'enfant qui projette du sens, de l'intention, de la subjectivité partout alors qu'il baigne dans l'imprévisibilité. Le monde est imprévisible parce qu'il est gouverné par des sujets capricieux (exactement le contraire du monde que décrit la science). Le hasard, proprement, est négation : invoquer le hasard est un acte de négation : c'est dire qu'au principe de l'événement il n'y a, exactement, rien et surtout personne. "Mauvais concept" dit Clément Rosset. Son contenu est le rien. De ce concept il n'y a rien à espérer, on ne peut compter sur le hasard car ce serait compter sur quelque chose ou quelqu'un. C'est, dit Rosset, se référant au De rerum natura de Lucrèce "la seule idée vierge de tout élément superstitieux" (Logique du pire). C'est dire qu'il n'y a pas de responsable de ce qui m'arrive, qu'il n'y a même pas de responsabilité, qu'il n'y a aucun sens à demander justice ou à remercier. C'est pour cela que, si invoquer le hasard est un acte de négation, le reconnaître ainsi défini est un acte d’approbation (Nietzsche, Rosset,...), c'est reconnaître le caractère essentiellement tragique du monde (son indifférence) et de l'existence (son absence de sens) et l'accepter. C'est aussi pourquoi le concept du hasard peut être insupportable.

Alors paradoxalement le hasard qui ne signifie que le vide d'intentionnalité, se remplit, superstitieusement, d'entités (fortune, chance, providence, destin, fatalité, etc.) à qui on attribue la responsabilité du caractère favorable ou défavorable de la rencontre. On a aussi inventé les dieux pour trouver quelqu'un à qui se plaindre. Entités que, par ailleurs, on pourrait influencer (voir l'analyse de la superstition chez Spinoza) : la superstition suppose qu'on est condamné à désirer sans pouvoir agir, qu'on se retrouve dans l'attente pure et dans la passivité, donc dans la crainte et l'espoir : dans le tirage au sort, les dieux choisissent, on attend. Il faudrait pouvoir dire tous les remplissages qui se sont faits de ce vide, de cette absence, ce non-être, qu'est le hasard. Et c'est précisément quand le hasard se remplit d'une entité positive qu'il signifie imprévisibilité : est imprévisible, on l'a dit, ce qui est gouverné par des sujets capricieux, des dieux susceptibles ("qu'est-ce que j'ai pu faire au Bon Dieu pour que je prenne cette tuile sur la tête ?") et inconstants et qui aiment se faire prier.

🖊️Modifier cette InfoBox
Le hasard et la prévisibilité ✒️📰
Thème